Présentiel


11 novembre|

Kafka disait dans son journal qu'un livre est la hache qui brise en nous la mer gelée. Toutes les bibliothèques se ressemblent : ce ne sont que des morts verticalement serrés. Les livres sont au service de la vie, et non le contraire, comme croient certains intellectuels. Christian Bobin dit que l'écriture est un amas de petites encres, petits orgueils, petites souffrances, petites sciences. Mais à quoi bon sert la philosophie ? J'aime les livres sur les vérités qu'elles dévoilent. Ils apportent force et courage. Jadis, j'ai aimé les livres qui me faisaient rêver, aujourd'hui, je préfère ceux qui me parlent de vérité, du réel et de lucidité. La philosophie m'a délivré des jeux faciles et frivoles, par lesquels les hommes tentent de se dérober à l'existence, dit Rilke. Ce qu'il m'aura fallu de courage pour en arriver là où je suis. Le courage me provient des livres et de l'amour, ce qui est d'autant plus vrai aujourd'hui. La philosophie est au service de la vie et non l'inverse, je le répète. Un amour plus pur, des mots plus vrais et qui, sans eux, je m'assècheraient au soleil. J'ai souvent ressenti la révolte et la colère dans ma fureur de vivre. Accepter, supporter, puisqu'il le faut, mais qu'on ne me demande pas d'applaudir. Réfléchir, écrire est-ce agir ? Réfléchir est une action mentale fondamentale qui est souvent une condition préalable à l'action physique, une forme d'agir sur soi-même et sur le monde. La réflexion peut être vue comme une étape de préparation, de planification et de prise de décision qui précède l'action concrète. Cependant, certaines philosophies considèrent que la réflexion elle-même est un type d'action, une manière de traiter le monde, de s'évaluer et de mener une action intérieure qui prépare le terrain pour l'action extérieure. Je dépose les livres afin de prendre mon courage à deux mains et tenter d'écrire au lieu de retranscrire. Je crois avoir suffisamment d'élan après cette fulgurante lecture d'André Comte-Sponville pour me faire confiance et aller de l'avant. Je lis beaucoup plus intensivement, plus lentement qu'autrefois. Mes recherches sont plus substantielles, prépondérantes. Comment ferais-je pour me passer de tous ces créateurs qui ont tant de choses à me dire ? Plusieurs d'entres-eux se pratiquent depuis leur tendre enfance à s'éduquer, à s'exprimer et à naître. J'étais trop occupé à survivre pour faire de l'art mon leitmotiv. J'ai réussi à obtempérer dans mon désir viscéral de vivre. J'ai davantage vu la mort se porter acquéreur de mon être qu'au bonheur d'assister la vie qui me traverse. Assis à ma fenêtre, un tapis blanc vient de prendre forme dans l'obscurité du soir. De petits points de lumières jaunes et blancs tout autour me confirment que la vie subsiste malgré dans la froidure et le silence. Je vais poursuivre la soirée en beauté avec Clara Haskil et Dinu Lipatti jouant des airs de Mozart et de Schumann. C'est fou comme cela demande de l'énergie d'écrire en pensant et de créer en s'agitant. Le soir, la neige. Lumières aux fenêtres. Absence de pas.


10 novembre |

Que choisir, la vérité ou le bonheur ? Le bonheur est, au sens courant, un état émotionnel agréable, équilibré et durable dans lequel se trouve quelqu'un qui estime être parvenu à la satisfaction des aspirations et désirs qu'il juge importants. Il perçoit alors sa propre situation de manière positive et ressent un sentiment de plénitude et de sérénité, d'où le stress, l'inquiétude et le trouble sont absents. Le bonheur ne doit pas être confondu avec la sensation passagère de plaisir, mais représente au contraire un état d'équilibre, agréable, qui dure dans le temps. La vérité est loin d'être absolue et éternelle, la vérité est relative et se modifie avec le temps. Elle n'est pas quelque chose de présent qu'il faudrait trouver ou une prise de conscience de quelque chose qui serait fixe ; elle est quelque chose qui doit être créée, en un processus dialectique sans fin. En philosophie, la réalité est ce qui existe indépendamment de nos pensées, tandis que la vérité est l'adéquation entre un jugement ou une pensée et cette réalité. Il est crucial de distinguer les deux : la réalité est l'objet même, tandis que la vérité est la représentation ou l'affirmation qui correspond à cet objet. On peut dire que la vérité n'existe que si la réalité existe, car elle est la conformité de notre esprit à l'état des choses. La réalité est définie comme ce qui existe réellement, de manière objective et autonome, indépendamment de notre perception ou de notre connaissance. La vérité n'est pas la réalité elle-même, mais la manière dont notre esprit la représente ou en parle. On ne peut pas dire qu'il existe plusieurs réalités, mais on peut se tromper sur la vérité d'une réalité. La vérité peut être recherchée par la logique, la science qui correspond aux faits, ou même par des conceptions plus subjectives où elle est une conformité à l'intuition ou à la morale. À la lumière de mes expériences et de mon jugement, je choisis la vérité. Espérer ou vouloir ? La principale différence est que vouloir implique une action et une conviction pour atteindre un but, tandis qu'espérer est un désir plus passif et sans garantie de réalisation. Le verbe vouloir est lié à l'action et à la volonté d'agir pour obtenir quelque chose, alors qu'espérer est une croyance qu'un événement pourrait se produire sans nécessairement y contribuer. Voilà qui est dit à propos de l'espérance. À quoi me sert de lire si je lis, mais de beauté ne dis point. Cette courte phrase provient d'une chère amie qui possède ces mots en tête depuis son enfance. Que de plaisir à tenter de percer le mystère qui se cache derrière cette maxime. J'en suis venu à les rechercher ardemment pour faire travailler mon esprit et ma raison. Grand est mon plaisir de percuter les mots en tentant d'en découvrir le sens. Je suis en train d'initier un ami au plaisir que j'éprouve au contact de la philosophie. C'est avec fascination que je lui découvre une sincère curiosité pour le sujet. Que disent deux vieux amis qui se rencontrent après qu'ils ont parlé du temps qu'il fait et de la santé qui est mise à l'épreuve au fil du temps ? Tant qu'à parler de politique, philosopher m'apparaît bien plus sage. La vraie vie n'est pas donnée. Elle arrive après qu'on s'est débarrassé de toutes les pelures de soi-même. On y accède après la traversée de la zone d'ombre, après une certaine mort de soi. La vraie vie arrive après ce passage. La vraie vie est presque toujours une résurrection. Vivre un moment qui dure, est-ce là la dimension mystique ? La vraie vie n'est jamais donnée. Elle le serait par qui, par quoi ? L'égo, ce traître, s'en empare et voudrait que ce soit sa chose, son bien. C'est le contraire qui est vrai. Le moi appartiens à la vie, non la vie au moi. En réalité, les pelures sont l'égo, cette couche d'ombres qui nous habite et qui nous empêche d'accéder à la vraie vie. La vraie vie est là lorsque je m'absente. Les orientaux nomment samsâra les existences successives. Ce en quoi je ne crois pas à la réincarnation, comme l'explique André Comte-Sponville. Dans le bouddhisme, ce n'est pas le moi qui se réincarne, puisque je ne serai jamais quelqu'un d'autre, et ni le soi, puisqu'il n'y a pas de soi. Le but n'est pas de retrouver son cher moi, mais de l'affranchir et de le dissoudre. Le nirvâna est l'extinction du soi dans la lumière et la vérité. La vie libérée de soi est l'éternité et le désir libéré du manque est l'amour. Le mysticisme est lorsqu'il n'y a que l'être et la joie, que l'être et l'amour. Il n'y a pas de valeur absolue. La beauté vaut pour ceux qui l'aiment. La justice ne vaut pour ceux qui l'aiment. La santé vaut pour ceux qui aiment la vie. Et la vérité n'a pas besoin que nous l'aimons pour être vraie. Le désir n'est pas autre chose que de l'amour et l'amour est désir. Ne pas confondre le désir et le manque. Désirer ce qui me manque est une souffrance, ce en quoi j'ai souffert une grande partie de ma vie. Ces souffrances-là, je les connais pour les ombres qui planent encore sur ma tête. Souffrance du sentiment d'abandon, de rejet et d'isolement vécu trop tôt dans la vie. Je peux me libérer du passé, mais le passé m'habite toujours. Deux amours - éros et agapé : le premier aime que pour son bien à soi et le second pour son bien à lui. Philia : l'amour qui se réjouit et partage rejoint agapé dans l'amitié. L'amour renforce l'existence, la sexualité la met en péril. Dans la sexualité, on risque son identité et celle de l'autre. En vérité, le sexe n'a pas de morale, la vie non plus. Le sexe est violence, péril et perte de repères. Quand il y a beaucoup de bienveillance, il n'y a plus beaucoup de sexe. Et puis alors, où en suis-je rendu à la lecture amour et solitude du dernier chapitre lu ce soir ? L'auteur me rassure et me révèle des vérités dans son ouvrage. Il me confirme ce que je pensais en silence et sans pouvoir jusqu'alors trouver les mots justes pour les exprimer. Ces propos et réflexions m'entourent d'un baume de vérité auquel je ne m'attendais pas. Mon inexpérience devant la vérité, je dois l'avouer, me fait planer un doute au-dessus de la tête, ce en quoi l'étude est importante pour une vie heureuse. Ce n'est, certes, pas les intentions ni les motivations qui me manquent, mais plutôt la force à vouloir me dépasser, en plus d'assumer une pleine confiance envers mes capacités et surtout mes limites. Mon plan d'action visant à atteindre certains objectifs en vue de réconcilier ma raison et mes émotions passe sans aucun doute par une étude et une discipline rigoureuse. Il va de soi que je n'ai plus aucune garantie en espérant quoi que ce soit, ce que j'ai tellement cru bon il y a quelques temps à peine. Je vois pertinemment mon évolution des dernières années. Reste à déterminer des deux, entre l'égo ou l'être qui se tapit au fond de moi se manifeste le plus. L'égo s'est tellement bien enraciné dans mon être que je peine à distinguer le vrai du faux. Je peine aussi à distinguer entre le désir d'amour et le manque qui me porte. Je cite pour terminer la formule d'Adorno dans Minima Moralia : tu es aimé lorsque tu peux montrer ta faiblesse, sans que l'autre s'en serve pour affirmer sa force. Adorno soutenait, avec d'autres intellectuels de son époque, que la société capitaliste était une société de masse et de consommation, au sein de laquelle les individus étaient catégorisés et régis par des structures sociales, économiques et politiques très restrictives qui s'intéressaient peu aux individus en particulier. Minima Moralia est un recueil d'aphorismes et d'essais d'une grande richesse et d'une profonde clarté sur la vie dans la société capitaliste moderne. Adorno y pose un regard pénétrant sur la société nord américaine et y découvre une vie déformée par le capitalisme. Et je suis né. Les nuages s'enfuient toujours. Le vague à l'âme.


8 novembre |

J'aime le voyage intérieur que m'offre la beauté sous toutes ses formes. Ce qui m'intéresse n'est pas ce qui est beau, mais ce que la beauté me fait. La beauté est-elle promesse de bonheur ? Oui, la beauté me guérit, me soulage et m'apaise. L'histoire de la beauté chez l'homme est énigmatique. Pourquoi avons-nous tant besoin de la beauté ? C'est ce que Charles Pépin tentera de me divulguer dans : quand la beauté nous sauve. C'est dans les rares moments où les conflits cessent que nous éprouvons le sentiment du beau. C'est lors de mes nombreux voyages en Nouvelle-Angleterre que je saisis alors comment la beauté agissait sur moi. Épuisé après de nombreuses randonnées sur les routes et la montagne, c'est la beauté des lieux qui me revigore et me calme. J'ai besoin de beauté, car j'ai besoin d'harmonie, harmonie en soi, harmonie envers les autres. Les notions d'harmonie ne sont pas les mêmes d'un pays à l'autre, d'une personne à l'autre. La notion d'harmonie est subjective, la beauté est subjective. La beauté est la promesse du bonheur, s'en souviendra Stendhal. C'est de liberté que j'ai besoin et non de conformité. La beauté perçue me libère de la conformité. La nature donne ses règles à l'art, donne son absence de règles, faut-il entendre. C'est ce que la beauté exerce chez moi ; sa non-conformité. Devant la beauté du monde, il y a peu de questionnements, ce en quoi elle me maintient dans une forme d'extase et d'absolu. Si un artiste connaissait précisément le message porteur de l'œuvre avant de passer à l'acte, il ne serait pas artiste. C'est dans l'élaboration de l'œuvre que le sens advient. C'est ce sur quoi je me rebute devant l'obligation des artistes à préciser le sens de leurs œuvres pour les diffuser dans les galeries d'art et les musées. La beauté seule devrait suffire, me semble-t-il. C'est bien : le critère est moral, c'est bon : le critère est sensuel, c'est vrai : le critère est rationnel, c'est beau : aucun critère ne s'applique. La beauté, cette chose subjective, est aussi universelle. C'est beau, n'a pas de raison à se décrire. C'est beau parce que c'est beau, voilà. La beauté offre la possibilité de communion universelle entre les hommes. Je pense ici, par exemple, à la beauté et à la grandiloquence des églises qui avaient pour but de rassembler les hommes. L'art a parfois ses raisons d'exister dans sa volonté d'asservissement des hommes, notamment dans les églises. Chacun des observateurs ici a sa part de jugement devant la beauté, devant l'œuvre. Il n'y a pas de distanciation entre l'artiste libre et son œuvre. Y a-t-il une raison cachée à créer, comme par exemple issue d'une commande spécifique relevant d'intérêts particuliers à promouvoir ? Les plantes et les animaux sont beaux parce qu'ils ont des raisons directes et adjacentes de l'être. Encore une fois, la beauté est relative à celui qui observe. C'est beau est l'arme de résistance massive au relativisme et à l'indifférence. Devant la beauté, il n'y a pas de pourquoi, c'est ainsi que l'esprit s'apaise au lieu de se révolter. La beauté me permet de penser autrement, sans réfléchir. La beauté me permet d'élargir le champ de mes valeurs possibles. Le froid de la nuit. Les merles vont quelque part. Et moi je reste. 


6 novembre |

Il n'y a pas d'espoir sans crainte, donc de peur. L'espoir fait vivre, en effet, mais il fait vivre mal. À force d'espérer, on ne vit jamais. Mieux vaut sortir de ce cycle. En vérité, ce n'est pas l'espérance qui fait vivre, c'est le désir. Cesser de désirer, ce serait de cesser de vivre. La différence entre la volonté et l'espérance, c'est qu'on n'espère que ce qui n'est pas en notre pouvoir. On n'espère que ce qui ne dépend pas de nous, on ne veut que ce qui en dépend, disaient les stoïciens. Essayez d'espérer marcher, cela n'a jamais fait marcher personne. Quand tu auras appris à dés-espérer, je t'apprendrai à vouloir, disait Sénèque. Il est impossible d'aimer ses espérances. Ce n'est pas simple de se reconnaître dans ces propos philosophiques, cela demande du temps et de la volonté. Cela demande que notre vie soit plus véritable, plus réelle. Ce n'est pas dans une lecture rapide d'André Comte-Sponville que je deviendrai philosophe du jour au lendemain. C'est en allant à la base et aux causes de chaque chose que j'y parviendrai. Je ne suis pas pressé, en écrivant ce texte, je suis parvenu à aller beaucoup plus loin, ce qui fait que mon action me dépasse largement. Il ne suffit pas de supprimer le désir dans toute sa forme, mais plutôt de le transformer, de le convertir, d'en libérer au mieux sa puissance : désirer un peu moins ce qui manque, un peu plus ce qui est. Désirer un peu moins ce qui ne dépend pas de nous, un peu plus ce qui en dépend. Bref, il s'agit d'espérer moins et de vouloir un peu plus, d'espérer un peu moins et d'aimer un peu plus. C'est le chemin de la sagesse, la sagesse de l'action, la sagesse de l'amour. Spinoza disait de se rendre moins dépendant de l'espoir et de la crainte pour se consacrer à l'amour de chaque chose. Il s'agit de vivre, au lieu d'espérer vivre. La vie s'apprend d'elle-même. La philosophie se met au service de la vie pensée en action et en vérité. Voilà à quoi sert philosopher. La sagesse, c'est la vie réelle, la vraie vie vécue, ici et maintenant, en action et en vérité. Ce qui nous en sépare, ce sont nos espérances, nos rêves, nos frustrations, nos angoisses, nos déceptions. C'est cela qu'il faut traverser, dépasser, dissiper. J'y suis déjà, il ne me reste qu'à la vivre. Que puis-je dire après cette lecture nourricière ? Ma pensée n'est pas rendue à ce stade, mais sa lecture me plonge littéralement dans un univers qui me séduit et me métamorphose. C'est à la lumière de la vérité, de ma vérité, qu'il m'est possible d'atteindre ce bonheur fugace. Je dois apprendre à me faire confiance, un mot à la fois, une étincelle à la fois, un pas à la fois, comme le nouveau-né qui vient de naître. Il n'y a pas d'âge pour renaître. Il y a autant de renaissance que de mort en soi. Lorsque le vase est vide, inévitablement il se remplira de lui-même, comme le veut le mystère de la vie. Ma façon d'agir est de ne jamais remettre à demain ce que je peux faire maintenant. Cela vaut maintenant comme jamais auparavant. Je n'ai plus de temps à perdre. Mon seul et unique objectif est de prendre soin de moi comme jamais je ne l'ai fait auparavant, car j'ai tout mon temps pour le reste de ma vie à me consacrer à la sagesse et à la pensée juste. Ma confiance de fortifie particulièrement dans le fait d'être vivant et de penser. En cela, ma gratitude est profonde et sincère envers la vie qui m'a créé. À côté de la philosophie, les romans me semblent ennuyeux et dérisoires. À quoi bon inventer des personnages, si on n'est pas encore venu au monde ? À quoi bon inventer des histoires, si la nôtre n'a pas encore submergé de ses rêves ? Les romans sont utiles étant très jeune, il faut bien rêver sa vie avant de la vivre. La vie est un roman suffisant, n'est-ce pas ? Je suis du même avis que Comte-Sponville concernant les romans. Cela confirme davantage mon intérêt pour la philosophie et les essais. Je ressens toujours cette nécessité de la vérité, de la profondeur devant chaque chose. Je me rappelle, à mon adolescence, avoir ennuyé des amis devant mes questionnements qui étaient plutôt précoces pour mon âge. Je me rappelle m'être fait dire souvent que je réfléchissais trop au lieu de m'amuser. Je comprends aujourd'hui que je m'amuse en me questionnant, en philosophant du mieux que je peux. L'idée que je fais de cet intérêt est cette curiosité qui ne cesse de grandir, du sentiment de liberté qui jaillit de toute part, de la confiance que cela génère. Je sais pertinemment qu'au plus profond de moi, une force latente est prête à jaillir. Je suis en train lentement d'ériger la base de mon nouveau temple et qui  saura me protéger des velléités que la vie nous réserve et surtout de soi-même. Je n'ai jamais pensé être superficiel ou totalement matérialiste, comme dit le jargon populaire. Je n'ai seulement pas vu la nécessité d'aller à la rencontre de la vérité, me contentant de rechercher le regard des autres pour mériter mon estime et travailler pour ma subsistance. Je n'ai pas trop de regard sur la philosophie pure autant que sur les essais qui en découlent. Vraisemblablement, une importante partie de ma personnalité aime se réfugier dans la solitude. La solitude fortifie l'amour. Je comprends mieux ce cycle, j'y découvre une autre vérité qui prend racine au plus profond de moi. Je dois préciser que ma vigilance doit être maintenue à tout moment afin de contrer l'égo qui voudrait se manifester perfidement. Grand bien leur fasse aux romanciers de publier, que m'importe, j'assume. Je n'y vois que des détours insignifiants et des déguisements inutiles. La vie est trop brève pour en découdre et la campagne est trop belle. C'est pareil pour tous les téléromans de la semaine remplis de pacotilles et des mêmes rengaines. Un roman n'est autre chose qu'un divertissement, disait Pascal, et il n'a pas tort. Autant admirer le cirque sous le grand chapiteau avec ses artistes talentueux. J'aime les hommes pour leurs blessures et leur fragilité et non pour leur arrogance. Cela vaut aussi pour mes amis : j'aime qu'ils me disent où ils ont mal, plutôt que de se cacher. Sinon à quoi bon ? Le silence vaudrait mieux. Comte-Sponville affirme que la parole ne l'intéresse que lorsqu'elle est le contraire d'une protection. J'aime qu'on parle comme on se déshabille, non pas pour se montrer. Il y a des philosophes qui se protègent aussi par les systèmes de pensée qu'ils ont choisis. J'aime la philosophie lorsqu'elle se rapproche de la vie. Je la préfère à l'extérieur de systèmes rigides ne sachant que faire de la vérité. Je suis né de la philosophie à cause de l'ennui, de l'angoisse et du désespoir. Et puis, il y a eu la morosité des jours, la banalité de tout. Je viens de prendre conscience du titre du livre dont je me délecte : amour et solitude. Il n'y a que ça qui compte vraiment. Les livres en font partie, c'est ça qui les sauve. Les livres ne valent qu'autant qu'ils nous apprennent à aimer, à s'aimer.


5 novembre |

La vie continue et la philosophie continue de changer quelque chose en moi. Freud disait que la vérité, toujours la vérité, était sa seule règle. Sa situation psychanalytique est fondée sur l'amour de la vérité et de sa reconnaissance, ce qui doit exclure toute illusion ou duperie. Plus le temps passe et plus je suis sensible à la part de hasard ou de chance, ce que les Anciens appelaient le destin et qui n'est autre chose que l'ensemble de tout ce qui arrive. Il y a ce qui dépend de nous, et ce qui ne dépend pas, disaient les stoïciens, et ils avaient raison. C'est le destin, en somme. Le bonheur est impossible sans une chance considérable. Il convient donc d'avoir le bonheur modeste, et le malheur serein. Ni l'un ou l'autre ne sont mérités. En marchant au centre-ville sous la pluie, je rencontre Zoran, qui était copropriétaire du défunt disco-bar le Quartier de Lune avec Milan, deux Serbes arrivés au Québec il y a fort longtemps. Je les ai connus, comme bien d'autres de ma génération, dans l'établissement de l'avenue Cartier qui a opéré sur plus de vingt-cinq ans. Un incendie majeur a mis un terme à toute une époque. Pour moi et pour bien d'autres, c'était les belles années. Zoran vient de m'apprendre que Milan est décédé cet été. Je fus sous le choc. Aucun endroit du genre n'avait cette atmosphère de fête et de camaraderie. On y mangeait, dansait, buvait, toujours dans une ambiance festive et amicale que Zoran et Milan savaient instaurer. Au retour à la maison, je revoyais se défiler plein de souvenirs. Il ne serait plus possible de recréer ce lieu aujourd'hui pour différentes raisons que j'éviterai d'énumérer. Québec était alors un gros village qui, aujourd'hui, est devenue une grande ville avec tout ce qui vient avec. En faisant quelques recherches sur internet, je retrouve la charmante barmaid Brigitte, qui a passé tant de nuits blanches à abreuver les assoiffés de la ville. Elle dit s'être découvert une nouvelle passion sur internet : l'art naïf du dessin. J'appelle cela de la résilience. Je vois dans son nouvel intérêt une similitude avec ma retraite dans laquelle je me suis mis à écrire pour donner un sens à ma vie. Après chaque deuil, il y a une renaissance. Milan aura permis à sa façon, que plusieurs qui l'ont connu, puissent renaître à eux-mêmes dans la simplicité d'un sourire. Les dessins de Brigitte sont magnifiques et teintés de ses expériences vécues. Je trouve ça très beau. Je dirais que peu de gens ont vraiment marqué mon esprit, car ils ont passé trop vite et trop peu. Le monde et la vie ne paraissent absurdes que parce qu'ils ne répondent pas à nos espérances. Pour qui n'espère plus, l'absurde disparaît. Seul est heureux celui qui a perdu tout espoir ; car l'espoir est la plus grande torture qui soit, et le désespoir, une béatitude. Ce texte très ancien provient de la philosophie hindoue. Le désespoir est un thème récurrent en littérature parce qu'il touche tout le monde à un moment ou l'autre de l'existence. Je comprends mieux à la lecture d'André Comte-Sponville le sens profond de l'espoir, du désespoir et de la vérité. J'ai passé tellement de temps à vouloir courir dans tous les sens et me divertir que j'avais oublié le sens profond des mots. Un nouveau monde s'ouvre à moi au contact des mots et des idées. J'ai souvent sous-estimé ma force de résonance en eux. J'ai souvent cru que le monde littéraire ne m'était pas destiné jusqu'au jour où je découvre ses splendeurs et ses possibilités. Une profonde paix émane de tout mon être en ce moment précis en me découvrant libre de créer et de m'épanouir. Il ne suffit que de parcourir le chemin des dernières années pour constater à quel point mon verbe s'harmonise avec mon être. C'est comme si je retrouvais un parent oublié qui se dissimulait en moi. La joie est immense, la plénitude présente mais toutefois bien fragile. Un évènement troublant et majeur de mon enfance fut lorsque ma mère a jeté aux ordures les livres et les bibliothèques de mon père qui venait de mourir. Elle ne savait pas à ce moment que je venais aussi de mourir. Je viens de ressusciter. Le bonheur est plus fugace que la vérité, c'est pourquoi je fais mon choix. Je ne sais pas si un jour j'arriverai à chasser les peurs qui m'habitent, sinon la seule option possible est d'apprendre à vivre avec elle. Aux sources de mes connaissances, la souffrance provient de l'espérance, dans le désir de vouloir devenir quelqu'un, de fuir, du manque de connaissance de soi et des émotions incontrôlées ou refoulées. Je n'ai pas à chercher à devenir quelqu'un car je suis déjà quelqu'un. Pour la fuite, je m'en suis fais un métier. La fierté de me retrouver m'amène à vivre l'instant présent. Une meilleure connaissance de moi-même me permet de me réaliser pleinement en développant des intérêts qui me sont propres. Une meilleure connaissance de moi-même me permet d'interagir avec mon essence profonde, mes valeurs et mes idées. Qu'il est long le temps d'y parvenir. Pourtant le temps est bien court dans la vie d'un homme. J'ai dorénavant accès à un accélérateur de plénitude à la lecture d'auteurs qui ont des choses à me raconter. Jamais je n'aurais cru que quelques mots de leur part pourraient m'ouvrir un monde auquel je ne m'étais pas imaginé. Ce qui est bien, c'est que je peux continuer à voyager en restant tranquille chez moi, chose qui m'aurait été impensable il y a quelques années à peine. C'est mon destin, je dois avouer. Il m'a respecté avec bienveillance malgré l'adversité. Je me rappelle d'une époque où j'avais à peine de quoi gribouiller quelques mots, alors que maintenant les phrases coulent à flot devant l'éternel. Je crois que plusieurs ont les métiers qu'ils font par erreur. Mais c'est par nos erreurs que l'on apprend, n'est-ce pas ? Poursuivre sans cesse droit devant et ne pas capituler, même si la tentation persiste, c'est cela la résilience auquelle je me suis abreuver. Mes mots cachent bien mes peurs mais elle les amoindrit dans ma volonté de survivre encore et encore.


4 novembre |

Et la vérité ? Là, c'est différent. Il ne s'agit pas d'y croire : il s'agit de la connaître. La vérité ne commande pas, ne juge pas, puisqu'elle ne promet rien, n'annonce rien, puisqu'elle est sans amour. L'amour comme le bonheur sont un état émotionnel. En étant en situation d'équilibre, ils apportent un état durable qui engendre plénitude et sérénité. Il est important dans tout bon dialogue de connaître la nature de chaque mot afin d'éviter toute confusion. Quant à renoncer à la vérité même, libre à ceux qui veulent l'essayer ; pour ma part, elle est une chose dont je ne peux plus me passer. Il n'y a pas de vérités scientifiques mais seulement des connaissances scientifiques, toujours approximatives, toujours provisoires, toujours relatives. Je constate que la pensée n'est possible que sous l'exigence de la vérité, et que, quand bien même cette vérité n'est jamais donnée absolument, on ne peut pas plus s'en passer ni faire comme si elle n'existait pas du tout. Les vérités sont souvent subjectives à propos de la pensée et objectives, qui sont indépendantes de l'individu et fondées sur des preuves vérifiables. Toutes opinions et pensées sont subjectives et la vérité en ce sens n'est propre qu'à chacun des individus. Mon bonheur actuel s'associe de plus en plus à la recherche de ma vérité et qui, elle-même, se situe dans la raison. En allant plus loin dans ma pensée, la raison attire le bonheur et qui fusionnera avec la vérité.  C'est souvent au crépuscule de sa vie que ses révélations voient je jour, paradoxalement. J'ai tellement subi de fortes émotions répétitives et incontrôlées que j'ai plutôt tendance à m'en méfier maintenant ou dirais-je, les observer. Certaines expériences plus ou moins heureuses m'ont permis de reconsidérer l'état de ma pensée, parfois profondément erratique. C'est à force de subir les mêmes douleurs de façon répétitive que j'en suis venu à vouloir agir davantage raisonnablement en accord avec ma vérité. C'est devenu une façon pour moi d'apaiser les émotions en cascade qui m'ont toujours personnalisé. La recherche de ma vérité est devenue la quintessence de mon existence qui, jusqu'alors, a été négligée non pas par absence de désir et de volonté mais par manque de maturité et de sagesse. Ceci pour rappeler que toute vérité n'est bonne à dire. Socrate et bien d'autres sont morts pour cela, comme quoi la vérité n'est pas toujours bonne à entendre.


3 novembre |

On ne peut pas vivre dans l'instant, puisque la vie est durée. Je suis à la fois tout seul et tout ensemble. La société moderne rassemble les hommes plus qu'aucune ne l'a jamais fait. Je me sens aussi seul dans l'anonymat d'une grande ville que sur la place du village. Je ne pourrais vivre dans un village pour les rumeurs qui y circulent. Ce n'est pas l'amour qui fait fonctionner les sociétés : c'est l'argent, les intérêts, les rapports de force et de pouvoir, l'égoïsme, le narcissisme. Voilà la vérité de la vie sociale. La liberté intérieure n'est jamais reçue de la société. C'est pour ça que les sages préfèrent la solitude. Le peuple doit être protégé de la foule qui ne fait que lyncher ou acclamer. C'est pourquoi existent les tribunaux, les parlements, les scrutins. Le gros animal vautré derrière ses écrans représente la foule médiatique. Le peuple doit être surtout protégé de cette foule enragée. C'est celle-ci qui appuie les démagogues et les populistes. S'informer, réfléchir, discuter, s'organiser, agir, sans cela il n'y a pas de liberté ni de justice. Tel est le sens le plus élevé de la démocratie. Toute espérance est déçue, toujours. Woody Allen disait : qu'est-ce que je serais heureux si j'étais heureux. Il ne l'est donc jamais, puisqu'il espère toujours le devenir. Pascal disait : nous ne vivons jamais, nous espérons vivre. Le bonheur reste un but mais à condition d'y renoncer, cela équivaut à cesser d'espérer. Mes rêves me séparent du bonheur dans le mouvement même qui le poursuit, affirme André Comte-Sponville. Je m'interroge souvent à propos de l'exercice effectué en retranscrivant des textes choisis dans mon journal avec parcimonie.  Ces textes me servent de tremplin vers quelque chose que je peine à identifier. Ils m'aident à m'imprégner des thèmes abordés par différents auteurs et philosophes. Ils m'apportent de profondes réflexions qui, sans eux, je serais fort dépourvu. Je ne tiens pas à me sous-estimé outre-mesure en m'affirmant de la sorte. Chaque auteur, chaque écrivain s'est inspiré de ceux qui les ont précédés. L'écriture est un art qui se veut libre. Je rejette toute forme d'objectifs à atteindre tels le style, la forme, le public, la notoriété. Je le fais parce que j'aime ça et qu'à travers toutes ces lectures, je me sens évolué. Ce n'est pas dans l'avenir que je prétends cheminer, ce n'est pas dans le futur que je deviendrai écrivain ou philosophe, c'est maintenant que je le suis. Je tiens à être sage et prudent en ne prenant que la place qui me revient en toute humilité. Les auteurs que je mentionne dans mon journal sont mes mentors qui, sans leurs soutiens et leurs présences, me priveraient d'une grande source d'inspiration. Rien ne se crée, rien ne se perd.


2 novembre |

Novembre et décembre sont mes mois préférés pour marcher dans le Vieux-Québec. J'aime les promenades lorsque les passants et les touristes quittent la ville causé par la fraîcheur. Je suis entré dans la chapelle des Ursulines et la cathédrale Notre-Dame, des lieux uniques à Québec. J'ai de la chance de pouvoir profiter de la ville fortifiée à partir de chez moi à pied. Tout l'après-midi, j'ai pris des photographies. La philosophie est une activité qui, par des discours et des raisonnements, me procure la vie heureuse. Elle est une pratique discursive, qui a la vie pour objet, la raison pour moyen, et le bonheur pour but. Qu'une idée me rende heureux, qu'est-ce que cela prouve ? C'est le cas aussi, au moins un certain temps, de la plupart de mes illusions. Renoncer à la vérité, ou à sa quête, ce serait renoncer à la raison et, par là, à la philosophie. Un philosophe doit toujours choisir la vérité au bonheur. Mieux vaut une vraie tristesse qu'une fausse joie. La philosophie est l'amour de la sagesse. Une tension existe entre bonheur et vérité. Qu'est-ce que la sagesse, sinon une vérité heureuse afin que les deux puissent se rejoindre. La technique la plus sophistiquée n'a de sens qu'au service d'autre chose. Je ne philosophe pas pour passer le temps, je philosophe pour sauver ma peau et mon âme. La philosophie est la place où se nouent l'universel et la solitude. André Comte-Sponville exprime une vision claire des grands thèmes qui charpentent la vie des hommes dans : l'amour, la solitude. La philosophie n'a d'intérêt que si elle reste au contact de la vie vécue et de l'expérience quotidienne. Ça ne sert plus à rien de voir un tas de gens dans la rue, à part cette illusion de n'être pas seul. En réalité, je suis seul autant dans la foule. Je me rappelle, jeune homme que j'étais, des rencontres fortuites au hasard qui laissaient place à de belles discussions. Aujourd'hui, chacun regarde son téléphone, n'apercevant même pas que des gens se promènent autour. Seulement quelques touristes rencontrés qui aimeraient entrer en contact avec les gens de la place, les primates et autochtones que nous sommes. Je suis las des théories, des analyses, des grands discours. La vraie vie est ailleurs. La sagesse débute dans le deuil de certaines choses, et dans son acceptation. Le réel et la vie suffisent dans ce que j'appelle le silence. Lorsque je serai devenu sage, je n'aurai plus besoin de philosopher. Je pourrai laisser mon radeau sur le rivage pour qu'il serve aux autres. Je ne tiens pas à mourir d'épuisement d'un système que j'ai passé ma vie à consolider en parallèle à celui que la société propose. Pourquoi vouloir toujours tout comparer ou enfermer dans une définition abstraite ? Tout cela ne sont que des mots. La vie est autre chose que des mots. C'est pourquoi le réel est simple, car il n'a pas de mots. Je comprends maintenant, à la lecture de l'ouvrage, que j'ai souvent le désir de prendre les chemins de travers où le silence règne. La plénitude est la disparition du manque. Que désirer de plus, lorsque tout est là ? J'ai pris quelques minutes pour écouter la soirée des élections municipales. Vivre en société exige des débats, discussions parfois creuses mais nécessaires. Le droit de vote est assurément le meilleur geste démocratique. Pour faire un bon choix, il est essentiel de bien écouter les candidats, même si ces laconiques bavardages ne sont que des promesses qu'ils ne seront pas en mesure de tenir une fois au pouvoir. On ne vote jamais pour le meilleur, on vote pour le moins pire. Et la vie continuera sans se soucier de quel candidat qui sera élu. Nous ne sommes séparés de l'éternité que par nous-mêmes. Je ne suis capable de me passer des mots. Mon égo me pousse sans cesse dans cette tentation de vouloir devenir au lieu d'être. C'est comme si ce que je suis n'était pas complet ou satisfaisant à mes yeux. Jamais je ne le serai si je laisse pavaner l'égo interagir avec ce que je suis vraiment. Débusquer l'ego s'effectue sans jugement. Il ne suffit que de l'observer pour qu'il perde de sa substance et ainsi se réapproprié de son être véritable. En réalité pour pousser ma réflexion, les mots sont une technique qui n'a de sens qu'au service d'autre chose.


1er novembre|

Alcalmie en voyage. J'ai trop mal après, quand je me rattache à la réalité. Il en a toujours été ainsi. Les voyages me transforment. Cruel est de revenir chez moi au même endroit où je l'ai laissé alors que j'ai changé. Rupture abrupte et douloureuse, retour en arrière. Pendant quelques semaines, les murs de plâtre ont dispararus pour laisser place aux grands espaces. Mes repères ont changé de noms. Les lieux qui me connaissent ne sont plus là. Plus tard, la clé dans la porte, l'immobilité à réapprendre, le même mobilier qui m'attend là où je l'ai laissé. Le vent, soudainement, continue sa route sans moi. Ce qui reste est enfui dans mes songes ; les lumières, les odeurs, le calme retrouvé. Comment ne pas oublier tous ces lieux ? J'ai conservé un tas de souvenirs de toutes ces contrées lointaines gorgées de lumière et de fines herbes. Kalimera, buongiorno, buenos días, pura vida. Tout fut parfait, voilà ! Mon existence est un trompe-l'œil. Il m'est impossible de m'émerveiller sans cesse. J'ai essayé avec la mariejeanne, ça m'a rendu malade et le vin encore pire. Marcher et courir m'ont donné des douleurs à force de ne pas les entendre. Rester immobile trop longtemps me rend nerveux. La seule issue demeure dans les petites choses, les quelques mots ici et là et le plaisir incommensurable de créer. Et puis il y a les horribles orages du néant qui m'immobilisent de peur. Illusion ou réalité ? Le réel existe parfois sans que je le reconnaisse. C'est pour ça que je choisis ce qui me semble immobile afin de le capter au passage. Tout a été très vite dans ma tête, comme pour oublier ma présence. Parfois par hasard et sans aucune raison apparente, la nostalgie me prend dans ses bras dans une insupportable révélation qu'il n'y a plus rien. C'est qu'il me faut le chérir, ce petit rien. C'est de cela que je pense ces temps-ci. Accepter qu'il n'y ait rien, ne plus croire à rien, ne plus rien attendre, ne plus chanter ou danser, ne plus vouloir marcher sur tous les chemins. Cela suffit, je rentre à la maison, tout comme Forrest Gump l'a fait au bout de sa course. Et puis après, la vie continue autrement. Je crois que mon orgueil me délaisse, mais pas mes peurs qui se nourrissent d'elles-mêmes par sombre habitude. Je suis très heureux du nouvel espace récemment créé dans mon logis. Il devenait insoutenable de m'asseoir toujours au même endroit. Je n'ai été pratiquement que le jouet de l'illusion de la liberté. Pour moi la liberté représentait le mouvement, la mobilité. Aujourd'hui, ma liberté s'identifie à mon esprit presque autant qu'avec mon corps. Ce ne fut pas toujours le cas. C'est ainsi qu'on passe de la jeunesse à la vieillesse. Entre les deux ; un courant d'air. J'ai besoin d'une idéologie qui remplace mon orgueil. Un glissement de sensibilité et d'humanisme m'est apparu dans ce qui était, jadis, ce viscéral orgueil et mes peurs ancestrales. Est-ce le fait d'avoir voulu instaurer un système à la place de ce qui était alors une fraternité ? Je ne dois pas me juger trop sévèrement pour mes faiblesses, car des forces ont aussi interagi avec moi. Forces et faiblesses s'entrecroisent sans qu'on sache les reconnaître au passage. La vanité a foutu en l'air mes aspirations. Heureusement je m'en suis sorti indemne avec toutefois, quelques cicatrices et trophées de guerre. Le mieux que je puisse dire, c'est que j'ai eu de la chance. Ma vie a tenu et tient à un miracle. N'est-il pas vrai que la vie est une jungle où il faut se battre à chaque instant ? En cela, je n'ai aucun regret ni remord. J'ai fait de mon mieux avec les ressources qui étaient à ma disposition. J'en suis sorti indemne jusqu'à présent. Parfois mon moi a disparu, laissant la place à la parade et aux jeux du langage creux. Ce que le présent me révèle, c'est que j'ai souvent abandonné dans l'atteinte de mes objectifs, mon être pour l'ignorance et la certitude. En cela, je l'apparente par le manque d'expérience et de jugement propre aux hommes jeunes et ambitieux. Maintenant, pour apaiser ma peur du néant, la littérature me soulage de la rupture à moi-même. Heureusement, je me soigne. On n'échappe pas si facilement à la solitude. Je suis l'effritement d'une montagne qu'un simple regard de lucidité peut me faire crouler. Le Clézio dit que les plus grands péchés de l'homme ne sont pas à cause de ses sentiments mais de son intelligence. Toujours revenir à soi-même en doutant de tout. Je ne veux plus rien de ce que je ne peux retenir.


31 octobre |

Le plus grand voyageur n'est pas celui qui a fait dix fois le tour du monde, mais celui qui a fait un tour de lui-même, disait Gandhi. Il n'y a que mon repère où les aventures commencent et se terminent. Ma prison me libère, pourvu que je puisse y entrer et sortir. Le repos me fatigue. J'ai besoin d'un petit bout de beauté au quotidien. Je m'étonne d'avoir lu et relu tous les livres qui trônent dans ma bibliothèque. Je revois à leurs côtés tout mon parcours, tous mes rêves qui ne sont plus les mêmes au moment de d'écrire. Je reviens toujours à la maison, je n'en possède qu'une seule. Penser c'est agir, être soi c'est être les autres. La société, je la porte en moi malgré ses dissidences, dialectique de la solitude et de la promiscuité. Étrange paradoxe d'être à la fois si près et si loin des autres. Je ne pourrais pas vivre seul dans les bois. J'ai besoin de voir autour de moi des gens s'agiter. La diversité me stimule. Le renoncement à tout ce qui est grandeur mensongère, à l'orgueil, à la complaisance et à tout ce qu'on croyait bon en soi et qui n'était que mesquineries. Ces quelques lignes ont été tirées de l'extase matérielle par Le Clézio. Encore un humain qui a tant de choses à me raconter, pourquoi je m'en passerais. Je suis souvent déçu par ce qui peut avoir de limité chez l'homme. Toute cette richesse, cette chaleur sociale à distance, cette culture, ce peuple qui grouille sans vraiment savoir pourquoi. Il s'agite car c'est la seule chose qu'il a appris. Tout cela n'est que désert, glace, bloc de béton. Je dois me faire petit devant tout ce qui existe. Le doute règne partout. Rien à posséder est un gage de liberté. La richesse entrave malgré ses illusions. L'ouvrage de l'auteur est sombre et teinté de pessimisme. De toute façon, les humoristes ne m'ont jamais fait rire, les politiciens non plus. Avoir de l'argent, une situation, est-ce pour cela qu'on vit ? Ça prend si peu de chose. Raisonnement technologique et mercantile, petites aventures dominicales, intellectualisme repu, prétention ulcéreuse. Est-ce là être ambitieux ? Mon ambition rejoint le dénuement et par ricochet Le Clézio dans sa pensée. Austère, sensible et visionnaire, ses textes me révèlent des réalités qui se rapprochent des miennes. Bonheur éprouvé de n'être pas le seul à penser ainsi. 


30 octobre |

On envoie le message au gouvernement que la misère humaine, c’est son problème, pas le nôtre. Étrange déduction. Le conflit qui trône entre le gouvernement et les médecins est le résultat d'un affaissement des valeurs. Certes, il y a lieu de douter du travail organisationnel des services publics. Les valeurs profondes du Québec laissent à désirer dans les temps qui courent. On ne peut pas laisser planer tout le fardeau sur les épaules du gouvernement. Le gouvernement, c'est aussi chacun d'entre-nous, n'est-ce pas ? Le gouvernement est à l'image de nous tous. Nous avons nos propres responsabilités en ce qui concerne le gouvernement, mais il y a quelque chose qui cloche dans la mise en place concrète des plans d'action. Trop de gens et d'organismes travaillent en vase clos. Est-il possible que nous en demandions trop ou bien est-ce que c'est le gouvernement qui prend trop de places ou pas suffisamment les bonnes places ? Est-ce une question de moyens ou bien c'est nos forces collectives conjointes qui sont mal foutues ? Sommes-nous prêts à prêter main-forte aux élans de solidarité qui nous ont érigés comme peuple ou sommes-nous trop occupés sur TikTok ou à clavarder sur Instagram ? Pendant que les services publics croulent sous la pression, les géants de la technologie atteignent des records de profits au dernier trimestre. Comment se fait-il qu'il existe une pénurie de main-d'œuvre alors que la population mondiale ne cesse de croître ? Je ne crois pas que la raison est du fait que tous soient devenus instantanément inaptes au travail ou bien trop âgés. Peut-être a-t-il lieu de modifier les règles pour laisser plus de fluidité sur l'embauche de personnel dans certains secteurs cruciaux de l'économie dont fait partie les soins de santé. Je n'ai nulle intention de m'afficher comme éditorialiste en écho aux informations courantes. Il y a les analystes et les experts, tous meilleurs que moi pour diffuser les informations. Les canaux sont bien trop nombreux et insipides pour que je m'y laisse entraîner. J'ai toujours préféré les chemins de travers et je ne suis pas prêt de changer. Toutefois, certains sujets de l'actualité méritent mon attention pour ce qu'ils sous-entendent en réflexions philosophiques. On ne parle pas beaucoup de philosophie dans les médias, c'est pas à la mode et ce n'est pas payant, enfin dans le jargon populaire. Poser les questions, parfois c'est y répondre ou du moins, tenter d'y répondre. Il est trop facile de critiquer la société, le système. Ce n'est pas tant de chialer que de me demander : que puis-je faire pour les rendre meilleurs ? Précisons que les critiques, et aussi les miennes, sont bien souvent utiles et nécessaires. C'est dans ma nature, je n'y puis rien. J'ai le mauvais défaut de parler davantage que d'écouter. En prendre conscience, c'est déjà un pas. Ce n'est pas tant que les gens m'ennuient que mon besoin de m'exprimer est grand. Nul n'est dans l'obligation de discuter à sens unique, j'en conviens parfaitement, sauf si j'étais un éminent conférencier ou un enseignant, puis encore. Je comprends très bien la dynamique que j'applique, parfois inconsciemment. Bien souvent, les gens qui parlent beaucoup ont l'urgence de le faire. J'ai déjà lu que l'on exploite qu'une infime partie de notre cerveau. Il paraît aussi qu'il nous serait impossible de l'exploiter à son maximum pour l'énergie que cela nécessiterait à le déployer. J'aime les saisons froides davantage que les étés brûlants. Je m'adapte davantage au froid qu'aux grandes chaleurs avec le temps. Mon corps résiste mal à la chaleur cruelle. Je suis entrée dans une nouvelle bibliothèque aujourd'hui. J'ai de la difficulté à me trouver des livres qui me conviennent. Issus de notre glorieux passé de fidèles chrétiens, les bibliothèques regorgent de livres sur Dieu et l'Église. Puis viennent les livres de cuisine et de voyages. Ensuite les bouquins de psychologie et de romance qui ne me vont guère. Ce soir, il pleut. Je suis bien chez moi observant le vent qui s'abat aux fenêtres. Autrefois, la pluie m'ennuyait, maintenant elle m'inspire. Je viens de réserver deux livres à la bibliothèque municipale, l'un de Christian Bobin et le second de Bertrand Vergely, deux auteurs que j'affectionne. Les derniers jours, j'ai entrepris des lectures et écritures profondes. Je laisse se dissoudre quelques temps ces pensées pour m'aérer l'esprit afin d'y revenir plus tard avec plus de vigueur. Hier, j'ai dormi douze heures. J'ai besoin de beaucoup de sommeil. Je n'envie pas ceux qui ont de grandes maisons à entretenir, des enfants à élever, des animaux à s'occuper. Je n'envie pas ceux qui vont travailler, les étudiants qui vont aux études parce qu'ils y sont obligés. Je n'envie pas ceux qui dépensent sans cesse pour des trucs dont ils n'ont pas besoin. Je n'envie pas ceux qui passent tout leur temps sur internet ou à écouter le téléviseur. Je n'envie pas les voisins, ceux qu'ils font et pensent comme tout le monde. Ce soir, j'ai de la gratitude envers moi-même, envers mes choix. Le bonheur, c'est lorsque l'on se choisit et qu'on assume ses choix. La simplicité dans laquelle je vis me plaît. Pour avoir plus, ça coûterait plus cher et ça ne rendrait pas plus heureux. Je possède l'essentiel, je n'ai pas de dettes, je suis libre et en santé, que demander de plus. J'ai développé un fort intérêt pour la littérature et la philosophie. J'ai une copine avec qui je me sens en harmonie et avec qui je peux faire quelques projets passionnants qui nous réunissent. Je viens de compléter un itinéraire de voyage en vélo-campeur pour le printemps prochain aux États-Unis. Je suis en avance, je sais. J'ai toujours été ainsi pour les voyages. Je ferai du potage à la citrouille cette semaine. Mon blogue est assez modeste ce soir, c'est voulu ainsi. Apporter de la légèreté dans mon quotidien, c'est aussi ça une bonne vie. Se reposer et savoir apprécier sa récolte après tant d'efforts est un symbole fort de l'homme heureux dont je fais partie. Sisyphe l'avait bien compris lorsque sa pierre descendait de la montagne après l'avoir précédemment grimpé en haut avec tant d'efforts. 


28 octobre |

Écrire, c'est se parler tout seul, en espérant que ça puisse servir. C’est une part fondamentale de notre humanité qui s’envole avec l’IA, révolution technologique totalement différente des précédentes. On m’objecte souvent que le problème n’est pas l’IA elle-même, mais l’usage qu’on en fait. L’objection ne tient plus dès lors qu’on se rue sur l’IA sans justement réfléchir aux conséquences, seulement parce que c’est ben pratique. Dans les domaines intellectuels et artistiques, dès qu’on ne fait pas le chemin soi-même, on se prive d’une occasion de grandir intellectuellement. On gagnera, certes du temps pour en passer plus sur TikTok ? Pascal a dit que c'est par ennui que les hommes sont courageux et non par la vertu. Avoir du cœur convertit le néant en être. Jeune, je quittais la maison les matins aux journées froides de l'hiver pour marcher sur la rivière gelée. Je me rappelle avoir beaucoup rêvé aux grands espaces sauvages, aux herbes hautes et les ruisseaux dans la neige. Les nuages s'affolaient aux grands vents. J'aimais les suivre du regard en pensant jusqu'où pouvaient-ils aller. Je rêvais que je pouvais aussi les suivre jusqu'au bout du monde. Tout ce qui appartenait à ma maison était triste, sauf la télévision qui me faisait rire. J'ai longtemps vécu avec elle, n'ayant pas d'autres distractions. Dans quelques rares cahiers à dessins, je griffonnais toujours le même paysage : une route qui file au loin entre la plaine et les montagnes. Les nuages ressemblaient à des moutons et le soleil resplendissait dans les grands espaces. La destination n'avait pas d'importance. C'est tout ce dont je me rappelle, car je marchais pour oublier. Le vent de la plaine. Montagnes lumineuses. Bonheur, la route. De toujours, les cartes géographiques m'ont accompagné. Elles étaient plus belles que tout ce qui était dans ma maison. Quand j'avais tout vu à la télévision, je regardais mes cartes en rêvant de partir très loin. Les noms des villages avaient pour moi une grande force d'attraction. Je voulais tous les traverser. Mes rêves se sont réalisés et je suis revenu triste au retour à la maison. J'avais beaucoup d'attentes envers les villages sur mes cartes. Et ainsi, le nombre de lieux s'est multiplié par centaines, ne retenant d'eux que le vent et la poussière. Mes rêves n'étaient pas toujours comme je les avais imaginés, mais je ne restais pas figé devant la télévision à mourir d'ennui et à me demander si demain serait toujours pareil. Un soir, l'enfant timide que j'étais descendit au sous-sol de mon immeuble pour une fête musicale. Figé sur ma chaise, la fenêtre du haut tomba sur ma tête sous la risée de tous. Avec les années et à chacun de mes pas, je savais que quelque chose allait me tomber sur la tête. C'est comme ça que ma tête s'est endurcie avec le temps, dure à l'extérieur, tendre à l'intérieur. Je n'ai plus le goût de me rappeler de ces tristes histoires qui ont composé une grande partie de ma vie. Je dois quitter ce passé qui n'existe plus et qui me rend nostalgique. Alors parfois, je regarde mes cartes à la recherche d'un bonheur qui n'existe pas. J'ai compris depuis que tous les endroits du monde ne sauraient me rendre plus heureux que si je regarde au fond de moi-même. Comment en suis-je arrivé à devenir triste en ouvrant mon cœur ? Depuis quelque temps, je regarde mes cartes différemment.


27 octobre |

La vie bondissante. Bienheureux les nuages. Être là, bonheur. D'où je viens n'existe plus, où je vais n'existe pas, le seul refuge possible est à l'intérieur de moi-même. Je viens de voir le film autobiographique Springsteen que j'ai trouvé excellent. Toute sa vie, le célèbre chanteur a vécu de nombreuses dépressions, tout comme son père qui l'a profondément marqué, ainsi que plusieurs membres de sa famille. En plus du talent extraordinaire de chanteur et d'artiste, je retiens du film que plusieurs gens portent en eux des douleurs si intenses qu'ils se voient dans l'obligation d'écrire ou de chanter. Le but alors n'est pas seulement de créer, mais de se recréer. On s'attache à un bon film lorsqu'on s'y reconnaît. C'est effectivement ce qui m'est arrivé en voyant Bruce écrire, parfois avec acharnement, pour s'extirper d'un mal qui l'a toujours hanté. C'est vouloir demeurer toujours le même qui est une contradiction. Le collectif aussi ne reste jamais le même. Vivre, c'est toujours se contredire. Ce n'est pas parce que la raison est logique qu'elle est vivante. C'est parce qu'elle est vivante qu'elle devient logique. Le problème que l'on ne veut pas résoudre revient toujours. Je l'ai amèrement appris dans mes fugues, surnommées désir ou aventure. Ne plus rien désirer d'autre que la paix devient légitime lorsque les douleurs sont trop fortes. J'éprouve des difficultés à me contenter de mes recherches, mon esprit exigeant toujours davantage. J'y vois là le piège de l'égo qui en redemande toujours plus pour me faire croire que je suis incomplet et dans le besoin constant. Je crois le dépister, mais pour combien de temps avant qu'il ne ressurgisse à la première occasion ? Savoir ce qui ne va pas a du sens, quand je m'efforce de partir en même temps à la recherche de ce qui va, ce qui n'a pas toujours été le cas, je l'avoue. Tout ceci pour dire que c'est dans une bonne connaissance de soi qu'on peut distinguer le vrai du faux, le bien du mal. Comment de fois j'ai tenté de me dissuader que le mal finirait par se dissiper par lui-même ? Jamais il ne se dissipera mais, par contre, j'en viendrai à voir sa contrepartie avec des efforts. Je me suis tant de fois fait violence que l'amour est parti ailleurs pour voir si j'y existe. J'ai de fortes résistances intérieures, les unes qui me protègent, d'autres qui me nuisent. Ces résistances habitent là où elles n'ont plus lieu d'exister. Ce soir, comme dans les moments de pure lucidité, je reconnais ces ombres insidieuses qui transforment mon amour en colère. Une énergie considérable est requise pour entrer là où, il y a quelque temps, la voie me semblait impossible à traverser. Je crois que ceux qui souffrent d'Alzheimer ont inconsciemment rompus avec une mémoire qui était trop souffrante. Cela prend beaucoup de courage et de connaissances pour affronter ses démons avec lucidité. Entre désespoir et violence, la ligne est mince, les deux se nourrissant réciproquement. Les résistances intérieures représentent mes peurs qui, en leur présence, l'amour se dissout de lui-même. Mais l'amour ne disparaît jamais, même si d'épaisses couches de peur la recouvre. Ce sont les forces de la vie qui viennent qu'à ressurgir au moment où l'on ne s'y attend le moins. Le plus grand geste posé, après mes longues marches, fut de m'asseoir et d'écrire. Je pourrais utiliser la métaphore pour m'exprimer, comme par exemple la poésie, mais je choisis la manière la plus directe en utilisant un vocabulaire qui me sied. Je suis un être profondément visuel. La raison fort simple est que j'ai passé une quinzaine d'années de ma jeunesse avec une mère aveugle. J'ai besoin de lire et d'écrire pour voir mes pensées, sinon elles s'engouffrent dans un torrent d'émotions et de vagabondage. Depuis cette saine et fidèle application, je ne cesse de voir des choses que je ne soupçonnais pas et qui s'appellent la vérité. Comment ai-je pu vivre dans une telle confusion si longtemps ? Boris Cyrulnik a nommé son ouvrage : un merveilleux malheur pour décrire la résilience qui nous habite tous. C'est en prenant conscience que j'ai été vivant avant de connaître le mal que je peux le redevenir, puisse que je le suis.


26 octobre |

Les valeurs morales sont des principes et des règles qui guident les actions humaines, définissant ce qui est considéré comme bien ou mal dans une société. Elles sont transmises par les philosophies, les religions, les cultures, les idéologies et les normes sociales, certaines étant considérées comme universelles. Elles servent de critère pour juger notre comportement et prendre des décisions. Des exemples courants incluent le respect, l'honnêteté, la tolérance, la loyauté et la solidarité. Elles orientent et régissent nos actions, en nous imposant des obligations ou en nous faisant prendre conscience des conséquences de nos actes. La problématique soulevée par la notion de valeurs morales est de savoir ce qui fonde celles-ci, et si les valeurs morales sont objectives ou subjectives. Bertrand Vergely parle de la morale explicitement bien dans son livre ; la vraie morale se moque de la morale ou l'éloge de la finesse. L'ouvrage remet en question la tension entre une morale qui s'impose de l'extérieur, caractérisée par les règles ou encore l'autorité, et une morale qui vient de l'intérieur, d'où peuvent surgir l'amour, les fulgurances ainsi que les intuitions. Vergely met au jour les interactions entre la philosophie stoïcienne, la spiritualité religieuse et la morale politique, entre autres. Dans son livre, il incite à prendre de la distance avec les émeutes affectives collectives provoquées par les circuits commerciaux, les réseaux sociaux ou les pouvoirs politiques pour découvrir l'éthique morale qui est en soi et qui libère, guérit, sauve et fait avancer. Deux sortes de monde. L'un qui est la vie, le monde, l'humanité et le second celui qui est face au monde, à l'humanité, à la vie. Ce dernier possède le profil de la dictature car il croit devoir changer le monde alors qu'ils font partie intégrante de ce monde qu'ils jugent et remettent en question. La morale doit provenir de nous, de la vie en nous et non pas de l'extérieur, de la politique, de la société et du monde des affaires. On a beaucoup parlé de morale pour diffamer les plaisirs, mais on a peu parlé de la morale provenant de la vie en soi. Je crois que dans une sphère humaine plus individualiste, la morale relative à son monde intérieur tend à se manifester davantage que dans les années passées. Certes, il y a une normalisation et des cadres plus rigides qui viennent s'opposer à une certaine liberté dans l'époque actuelle. Mais n'empêche que le bien réussira toujours à vaincre l'obscurantisme émanant des forces du mal, car c'est pour cette raison que nous survivons toujours. Au gym, je discute avec Martin. Retraité, il a passé sa carrière de comptable à Ottawa. Il y retourne incessamment pour y aménager en permanence. Les services publics de santé y sont de bonne qualité comparativement au Québec, selon lui. Comment pourrait-on faire pire qu'en ce moment ?  L'Ontario a mis en place des règles strictes visant à restreindre les médecins de pratiquer au privé. De plus, pourquoi le feraient-ils car ils ont de bonnes conditions de travail. Il y a un gouffre qui sépare les provinces anglophones et le Québec. Est-ce pour cela que tous les conflits s'y retrouvant font du Québec une société distincte ? Il est évident qu'il y a un problème en la demeure et ce, à bien des niveaux, et que j'éviterai de nommer, car bien des experts et des critiques s'en chargent volontiers à ma place. La maxime je me souviens devrait maintenant se nommer diviser pour mieux régner. Les consensus se font de plus en plus rares et le pouvoir public se dilue rapidement aux mains des entreprises privées. Vive le Québec libre et payant est devenu le nouveau slogan. La révolution tranquille est très loin derrière nous. Jusqu'à présent, les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde. Il s'agit maintenant de le transformer. Plusieurs en viennent qu'à comprendre qu'ils souffrent d'une intériorité non vécue et d'une liberté non exprimée. Je n'ai jamais compris l'expression logement social. Un logement abordable indique qu'il est abordable, évidemment, mais le mot social devrait-il signifié que les autres types d'habitations ne sont pas habitées par des êtres sociaux ? N'est pas plus sociaux ces logements que tout autre type de propriété ? Aberation issue d'une époque révolue qui confirme qu'un doute règne sur la perspicacité des administrateurs, que leur évolution dans une sphère trop rigide. Le problème auquel on assiste depuis longtemps est que les gens sont en perte d'autonomie car plusieurs ne savent pas comment y accéder. Quand le monde manque de vie intérieure et de liberté, ce manque entraine des crises morales et spirituelles auxquelles nous assistons. Les hommes s'oppriment entre eux parce qu'ils sont opprimés. Ils sont opprimés parce qu'ils s'oppriment. Je suis passé par une confrontation à l'intérieur de moi-même, à force d'être toujours à l'extérieur. Mes énergies intérieures se délivrent ainsi, même en restant assis tranquille à la maison avec mes livres. Pour bien délivrer mon énergie intérieure, je dois acquérir l'intelligence de ma vie. Un cœur bat. Une ombre traverse. Une lueur dans la nuit.


25 octobre |

Il faut viser davantage une tête bien faite qu'une tête bien pleine, disait Montaigne. Pour avoir une pensée critique, il faut avoir développé un savoir dans un domaine similaire aux sujets que l'on entend critiquer. Mon esprit critique devient plus aiguisé au fil du temps, car mon savoir se développe conjointement avec mes nouveaux intérêts qui sont de vouloir savoir en profondeur sur la nature de chaque chose. J'ai beaucoup appris de mes erreurs en lien avec mes jugements de valeur. Dans le même ordre d'idée, je fais un parallèle avec ceux qui adoptent des critiques trop vives envers la société et le système qui la recouvre. Je comprends qu'il est facile de blâmer la société, le système, le gouvernement, les voisins, etc. En réalité, ils sont les boucs émissaires d'un malaise en soi qui sévit depuis fort longtemps. À défaut de se frapper, on frappe tout ce qui bouge pour se permettre de faire la victime au lieu d'être pleinement responsable. Certes, ce n'est pas toujours facile d'agir dans la bonne direction avec les moyens que l'on possède. De là l'importance de savoir contrôler ses émotions. Les émotions ne sont pas toujours de bons maîtres. Elles dissimulent des réalités qui, sans qu'on y fasse face et qu'on les reconnaisse, peuvent causer beaucoup de soucis et d'incohérence. Certaines émotions posent un filtre sur notre regard envers soi-même et chaque chose en diminuant notre pouvoir. J'en sais quelque chose, moi qui suis assez émotif, parfois même sans raisons valables. Un surplus d'émotions fatigue le corps et l'esprit, entraînant de mauvaises décisions, des jugements erronés et peut même aller jusqu'à isoler celui ou celle qui en souffre à l'excès. Les émotions négatives et mal gérées apportent leur lot d'anxiété, voire des dépressions. Qui n'a pas déjà entendu parler de gérer ses émotions ? Ceci peut paraître anodin, mais avant de pouvoir nous dresser en haut de notre potentiel, il faut maintenir une saine communication avec soi-même avant quiconque. Au besoin, il faut avoir l'humilité pour obtenir de l'aide, pourvu qu'elle ne soit pas permanente, ce qui reviendrait à dire d'être dépendant. Je recherche toujours les causes de chaque chose maintenant pour cheminer. Cette recherche, cette action se nomme philosopher. La psychologie est, certes, très intéressante, mais je préfère de loin la philosophie qui m'amène à délaisser quelques temps les émotions pour le raisonnement, afin d'y revenir en meilleure posture. Mes mots vous semblent éloquents. Ils tendent à traduire avec le plus de précision ma pensée qui s'éclaircit de plus en plus à force d'écrire. Un ami me dit qu'il écrit peu et qu'il possède cette faculté de bien réfléchir sans l'aide du cahier ou du portable. Étant plutôt visuel qu'auditif, écrire et lire pour moi sont devenus mes meilleures alliées pour devenir un meilleur homme. Quand on se moque de tout, c'est parce qu'il n'y a plus d'espoir. On peut tout faire quand il n'y a plus rien à faire. Il faut que le vide de manifeste pour faire le plein. D'une certaine façon, j'ai vécu la décadence, croyant à tort que c'était mes derniers jours. J'ai connu cette ivresse d'un éclat d'une vie malheureuse jouant à être heureux. Écrire me permet d'extirper certains aspects négatifs de mon passé et d'en retenir les meilleurs. Il y a de ces choses qu'il vaut mieux laisser derrière soi ; les regrets, l'amertume, les remords. Tout n'est que vanité et orgueil. Autant en finir le plus tôt possible et regarder devant soi la tête haute. Tout apprentissage de la sagesse passe par un exercice de la désillusion. Mes désirs ne sont pas des réalités. Il faut devenir raisonnable avec ses désirs pour autant qu'il en prenne pour l'euphorie. Il y a plus de vertus dans le réel que dans mes désirs. Je l'ai appris amèrement si souvent, revenant sans cesse à la case départ, celle qui précède la maturité. On ne s'habitue pas à la douleur, c'est elle qui s'habitue à nous. Si j'étais si heureux, je ne passerais pas mon temps à me chercher dans les mots, pourrait dire certain. Bavardage incessant. Mais que faire alors, c'est cela que j'ai appris le mieux ? Avec un ami, on a parlé du sens de l'implication. Ce mot est largement galvaudé. Pour plusieurs, s'impliquer signifie apporter sa contribution à des gens, une cause, ou une action. S'impliquer pour moi signifie davantage. Mon attention, mon regard, mes paroles en font partie d'autant que mon égo sache se taire. Être un volontaire désintéressé n'est pas donné à tout le monde, chacun y voyant son propre intérêt d'agir, peu importe la cause. Et si s'impliquer était avant tout s'impliquer pour soi-même ? Mon esprit se libère enfin de sa torpeur, malgré l'absence de côte d'écoute. C'est en cela que je reconnais la sagesse se poindre. C'est le savoir qui attire les curieux, les opprimés et les gens avides de pouvoir et de liberté. Le savoir est bien en soi mais on doit savoir en quoi consiste sa recherche. Rien n'est simple dans l'esprit des hommes, car rien n'est permanent. Dans le mot lucide, il y a le mot en latin lux qui signifie lumière. On devient lucide quand on ouvre la lumière en soi. Les premiers rayons peuvent nous faire ressentir de la douleur car ce sont les désillusions qui s'envolent, écorchant l'égo au passage. Pour aller bien, il faut commencer par aller mal. Comment se fait-il que l'on tarde à comprendre certaines choses pour être masochiste à ce point ? La lucidité passe par le pessimisme et ce que j'appelle à certains aspects, la réalité. La réalité peut être triste. Pourquoi vouloir la fuir lorsqu'on sait qu'elle reviendra toujours ? Funeste destin que celui des hommes. Si certaines personnes sont pessimistes, ce n'est pas qu'elles sont tristes par nature. C'est que le monde va mal et que trop s'en contentent en accusant ceux qui sont suicidaires d'être pessimistes, afin de ne pas changer ce qui ne va pas. C'est lorsque la réalité atteindra un grand nombre de gens que le changement ou le réveil s'amorcera. Il ne faut surtout pas minimiser la gravité des problèmes et surtout ne pas les éviter, comme on s'évertue de le faire en ce moment. Le pessimisme et le cynisme sont à la mode aujourd'hui. L'art d'appuyer sur ce qui va mal se porte bien. On peut dominer le monde ainsi. On reconnaît là un certain homme ringard, ignoble et prétentieux qui ne s'est fait, en réalité, que le porte-étendard et l'écho d'une masse critique qui ne demandait qu'à être entendue, ce que n'ont pu faire ceux qui l'ont précédé. Cet homme vaniteux n'est en réalité qu'un formidable joueur d'échecs qui dispose d'une formidable tribune. Si ont écoute pas tout le monde, un jour viendra que plus personne ne nous entendra. La vie est pleine de possibles inexploités. C'est la raison pour laquelle elle est obscure. Ce qui ne vit pas n'éclaire pas. Ce qui n'éclaire pas ne m'incite pas à voir. En étant résolument négatif, il fait ressurgir le réel, délivrant ainsi le possible qui s'y trouve. C'est en étant parfois radicalement pessimiste que l'on reconquiert l'optimisme qui permet de vivre. Cette lecture de Bertrand Vergely, petite philosophie des jours tristes, me redonne de l'espoir et à la vie. Rarement je n'ai lu un ouvrage qui me touche à ce point. Peut-être est-il tombé sous ma main au moment opportun ? Comment en arrive-t-on à subir des ruptures aussi intenses qu'à part un manque de vigilance de notre part ? Comme je l'ai dit auparavant, pour aller bien, il faut commencer par aller mal. Le matin tranquille. La fenêtre sourit. Le froid s'installe.


24 octobre |

Il ne faut pas avoir une raison d'être pour vivre. Si l'on perd cette raison, notre vie s'écroule aussi. Notre raison d'être s'épuisant, le vide réapparaît. Tant que nous ne sommes pas devenus nous-mêmes en profondeur, une voix murmure du fond du temps qui passe : que fais-tu de toi-même ? Il y a quelque chose de très subjectif dans la notion d'être et une part de très peu rationnel. Le moi se cherche en vain un miroir qu'il recherche et de là, l'égo qui parle. Ce n'est pas vivre que de tout rationaliser. Qu'adviendra-t-il du sentiment de se sentir utile à une tâche qui un jour se terminera ? Je me sentirai inutile. Je comble mon vide par une tâche, une raison d'exister, ce dont je suis dépendant. Rationaliser sur tout, c'est vouloir enfermer l'existence afin de masquer sa faiblesse derrière une forme de contrôle délirant, affirme Bertrand Vergely. Le sens de la vie devrait se suffire à lui-même. Prendre soin de soi, se connaître, bouger, philosopher, voilà les premiers gestes, le reste suivra bien. Concernant la reconnaissance, comme l'indique la pyramide de Maslow, il faut faire acte de prudence envers elle afin de ne pas vouloir nourrir l'égo. C'est qu'il est rusé ce traître qui se camoufle au fond de soi et prêt à ressurgir au moindre relâchement. Lâcher prise dissout l'égo lorsqu'il se fait menaçant. Jour de bonheur tranquille. Le mont Fuji voilé. Dans la pluie brumeuse. Le haïku est une forme poétique d'origine japonaise extrêmement brève, célébrant l'évanescence des choses et les sensations qu'elles suscitent. Matsuo Bashō fut incontestablement le plus célèbre maître de cette poésie. Un haïku évoque généralement une saison. Un vieil étang. Une grenouille qui plonge. Le bruit de l'eau. Le haïku nous libère de tout vouloir rationaliser. Une forêt profonde. Un chevreuil avance. Le craquement des branches. C'est toujours la peur d'être nous-mêmes qui nous porte vers le miroir. En écrivant, effectivement je suis devant le miroir, mais j'évite de regarder ce qui me semble être la vérité, c'est-à-dire ma peur. En écrivant, je réussis à regarder le reflet de ma pensée et ainsi à éviter les pièges de l'égo qui me sont tendus. Se connaître soi-même est la plus importante tâche de toute notre vie. Sans cela, il n'est rien. Tout ce que je ferai, croirai et dirai ne sera que du vide. Ce vide, je le connais trop bien pour avoir vécu trop longtemps avec lui. La rose est sans pourquoi ni comment, elle fleurit parce qu'elle fleurit. Elle ne prête pas attention à elle-même, elle se demande pas si on la voit. C'est en évitant de trop raisonner qu'on en vient à écrire ce chef-d'œuvre de la littérature mystique. Oui, j'ai connu l'orgueil, celui-là qui voulait me placer au-dessus de tout et de chacun. Devant lui, je me projetai l'image d'un homme libre au-dessus du lot. Cela m'a conduit à la pauvreté d'esprit, je reconnais. Quand cette raison d'être humain s'écroule, j'ai eu la chance d'apercevoir mon vide intérieur avant qu'il ne soit trop tard. Ce réflexe inconscient a perduré des dizaines d'années durant, moi qui pendant tout ce temps avais cru conjuguer avec la sagesse. Quel réveil brutal. Une raison d'être n'est ni quelque chose ni rien, mais soi. Quand je vis. Quand je pense. La sagesse est liée au savoir et à la modération. Au savoir, j'ai fait de mon mieux, pour la modération dans mes passions, j'ai échoué. Le bruit ne fait pas de bien et le bien ne fait pas de bruit, dit-on. J'aime reprendre ces phrases illustres fondées sur la raison en les incrustant dans mes propos. Je retiens l'idée du haïku entre les deux. Il est possible que je veuille inconsciemment vouloir redorer mon lustre ou mon égo en agissant ainsi et me donner bonne conscience. Peut importe. Mon objectif est d'apprendre à m'installer dans l'équilibre des choses ainsi que dans leur douceur, ce qui me permettra de conjuguer l'énergie même qui permet de vivre. C'est le seul accès au secret du monde et d'une vie réussie. Ceux qui me lisent doivent bien reconnaître que ces propos ne sont pas tous de moi. Sachez qu'en les écrivant, en toute humilité, j'ai la nette impression qu'ils font partie de moi-même. Pourquoi me priverais-je d'un aussi grand nombre de vérités ? Je demeure à l'affût de ceux qui ont des choses à dire et d'en faire ma propre interprétation, sinon je pivoterais sans cesse sur moi-même. Vergely dit ne pas prendre garde à ne pas être modéré dans la sagesse. À force de le dire, j'ai l'impression qu'elle me pénètre le cœur et l'esprit, alors à quoi bon m'en passer. Je reconnais avoir encore une certaine modération à apporter dans mes élans. Le seul fait d'en prendre conscience est déjà une atteinte d'équilibre en soi. La sagesse s'accommode mal d'une conscience trop assurée d'elle-même. Socrate a été le premier à l'enseigner. Le dépassement de l'orgueil est plus important que celui de la folie. La sagesse est le seul moyen de sortir de la folie. S'il est sage de ne pas être fou, il l'est également de ne pas sombrer dans l'orgueil. Être sage consiste à ne pas mourir idiot. Les stoïciens prônaient d'accepter ce qui ne dépend pas de nous, de vivre en accord avec la nature et la raison, et de se concentrer sur l'action juste et les intentions. Si j'avais vécu à cette époque, j'aurais adhéré à cette école et à ce mouvement de pensée en parallèle de celle d'Épicure.


23 octobre |

L'épanouissement n'est pas un état permanent je crois. M'épanouir dans ma vie en ce moment, c'est de philosopher, de lire et d'écrire. M'épanouir, c'est de savoir me poser les bonnes questions en recherchant ma propre vérité. M'épanouir, c'est comprendre que je n'ai plus besoin de l'approbation des autres pour être heureux. Mon bonheur passe avant tout et surtout sans ce besoin nocif du regard des autres. M'épanouir, c'est être en harmonie avec mon être véritable et c'est tant mieux si j'intercepte des gens au passage et ce, sans aucune obligation ni aucunes conditions de part et d'autre. L'épanouissement n'est pas un état durable. Il y a bien des raisons qui font que la vie a du sens. À condition de poser correctement la question. Point n'est besoin de consulter l'opinion d'autrui afin de savoir ce que l'on pense. Pensons par nous-mêmes. Quel plaisir de découvrir que nous pouvons être notre propre maître. N'y a-t-il une chose de plus grave, de plus intense, de plus douloureuse que de perdre le contrôle de sa raison ? J'ai connu souvent ces chutes de misère où l'on devient l'ombre de soi-même. Perdre ses repères ou ses émotions est à ce point bouleversant que certains n'y reviennent tout simplement pas. C'est la conscience qui donne sens et personnalité à la société et non l'inverse. Pour le comprendre, il ne faut pas être conformiste selon la sagesse d'Alain. Ce qui est rare. On devient bête avec la foule quand elle l'est, fou avec elle quand elle devient folle et totalement désespéré quand, ne voulant être ni bête ni fou, on n'en continue pas moins à regarder le comportement des autres au lieu d'agir soi-même. Ma grandeur provient de ma responsabilité envers celui que je suis réellement en premier lieu. Je suis responsable quand je deviens un diffuseur de vie sous forme d'un être rayonnant. En effet, mes plus grandes préoccupations ont été d'être ce diffuseur tout azimut autant de l'intérieur que de l'extérieur. Durant les cinq dernières années, j'ai parcouru avec Béa mon campeur, plusieurs destinations dont je fantasmais depuis fort longtemps. Béa, pour la béatitude d'être vivant et Béatrice, cette chère et fidèle lectrice du Sud-Ouest de la France que je connais étrangement, que par son franc parler et ses likes. Ainsi cette longue liste de lieux inscrits depuis toujours sur mes vieilles cartes a été marquée dans ma mémoire : de l'ouest du continent, du nord au sud en passant par les prairies, la côte est, les maritimes et tous les chemins de travers entre les deux. En cinq ans, j'ai beaucoup vu, aimé et rêvé, encore plus que je n'aurais pu imaginer. Tous ces kilomètres ont tracé mon histoire, dont je suis fier en me rendant plus grand et plus fort. Durant ces cinq années, j'ai aussi appris sur mes limites et mes faiblesses, surtout celles que l'on apprend en route. Mes faiblesses n'ont pu que se découvrir de cette façon, c'est-à-dire dans l'action. À vélo, j'ai parcouru toutes les destinations que j'avais comme objectif d'atteindre, sauf quelques-unes encore pour des voyages ultérieurs. Peu de gens ont roulé sur deux roues sur autant de routes différentes que les miennes. Ce n'est pas par prétention que je maintiens ce verdict, mais par conviction. Je peux affirmer que j'ai réussi ma vie, du moins en grande partie, mais la partie n'est pas terminé, du moins je l'espère. Un proverbe de Rousseau dit que la seule façon de savoir si un dessert est bon, c'est de le manger. Je crois en avoir abusé allègrement par excès, par goût de l'inaccessible et par désir de liberté. J'ai compris, bien plus tard, que c'est en soi qu'on porte la liberté. Ce que je recherche aujourd'hui, ce sont les gens cultivés et les grands penseurs. Les autres, considérez-vous comme étant salués, mes très chers petits lapins, mes tendres moutons. Ce que j'ai aimé avant tout a été de marcher sur des lieux où personne n'avait jamais été avant que je m'y retrouve. Il est impressionnant de savoir que les regards profanes n'ont jamais souillé ces lieux magiques. Ils ressurgissent de ma mémoire dans les moments paisibles et les jours tristes. C'est aussi à ça que servent les jours de pluie, se rappeler avec nostalgie et grandeur de son histoire et du chemin parcouru. On ne devient pas amis avec tous ceux que l'on aimerait entendre. Il paraît que les amis se comptent sur les doigts d'une main. Parfois je me demande comment font certaines personnes pour avoir des centaines d'amis sur internet ? Tout cela est une pure illusion afin de croire que ces gens ne sont pas seuls. Autrefois, le bonheur reposait sur la vie collective. Dorénavant, seul, on te dit : vas-y et sois heureux, comme si le bonheur était dans une bulle  ou une chose que l'on achète ou que l'on cueille sur Instagram ou Facebook et que l'on conserve dans sa bulle avec des gens qui pensent et qui disent les mêmes sottises que nous. Comment s'épanouir dans un monde de plus en plus dispersé, isolé et réfractaire à toutes divergences d'opinions ou d'idées ? Comment faire taire les jugements de valeur que l'on porte inconsciemment et qui nous isolent ? Comme il est difficile de rester objectif dans ce monde subjectif. Je suis de plus en plus conscient des tares qui m'ont habité jusqu'à tout récemment et qui ont freiné mon épanouissement personnel par peur ou ignorance. L'épanouissement n'est jamais acquis. Je ne nais pas épanoui, je le deviens. S'asseoir avec un groupe d'individus, tous différents les uns des autres, sans aucun autre objectif que de se poser des questions existentielles et philosophiques, et ce sans être réactifs ou fermés à l'autre, est un exercice difficile mais tellement enrichissant. À chaque rencontre, j'ai l'impression d'avoir agrandi et nourri mon espace intérieur. Dans cet exercice louable et parfois difficile, je grandis de l'intérieur, car c'est à ce moment que j'aperçois les maillons d'une chaîne se renforcir. Quoiqu'il en soit, le travail en vaut le coup. Il me faut être patient car comme on dit, le monde ne sait pas faire en une seule journée.


22 octobre |

En vieillissant, je gagne en esprit ce que je perds au corps. C'est comme ça que la sagesse se déploie. Ce soir, je suis à nouveau de retour à la bibliothèque. Cet après-midi, j'ai passé quelques heures au campus de l'université Laval à la recherche d'inspiration. Les jeunes adultes me font penser à des adolescents, moi à un vieux con. J'y ai trouvé quelques trouvailles en philosophie sous la forme de conférences grand public. À la maison de la littérature ce soir se déroule l'ambassade de l'utopie, un forum ouvert de discours, de paroles, d’idées et de performances ; un espace où les rêveurs, les artistes, les citoyens, les activistes et les groupes communautaires sont invités à parler de leur vision de l’avenir, à partager des idées qui sont trop importantes pour ne pas être exprimées. Surgiront de l'événement ; poésie, art littéraire, réflexions académiques, musique et danse. Il pourra aussi s’agir de performances, de témoignages, de lettres ou d’articles journalistiques. Les œuvres et réflexions peuvent toucher un vaste éventail de sujets : rêver d’un avenir se fondant sur les acquis du passé, aborder les relations humaines entre les communautés, nos rapports au territoire, imaginer la ville du futur. Tous ces ambassadeurs de la culture en marche s'impliquent activement dans la communauté. Ils sont cette courroie de transmission qui, comme vous et moi, tentons de faire avancer les choses à notre façon. Après une heure, j'ai quitté promptement. Je n'y apprenais rien de nouveau. Bien qu'il s'agisse là d'un événement culturel, artistique et communautaire important, je préfère lire, écrire et refaire le monde à ma façon. Je prends conscience que rien ne m'apporte autant de bonheur que les ouvrages et les discussions philosophiques en petits groupes et les essais littéraires. Cette prestation était pour moi trop teintée d'émotions. Oui, l'utopie était le thème de la soirée, le mien seront mes livres et mon canapé. En réalité, je n'aime pas rester passif dans une salle remplie de gens, sauf au cinéma. Je n'aime pas le théâtre, la soirée m'y faisait penser. J'avais l'impression d'entendre de longs discours larmoyants et redondants. Les grands discours sont inutiles quand on a mal. Je m'attends à des actes, du réconfort, de l'assistance. Quand on peut penser, on ne souffre pas. Quand on souffre, on pense mal. Les phrases que l'on construit à propos de la souffrance ont beau être émouvantes et intéressantes, elles n'en restent pas moins abstraites. L'homme dans ses agissements est une passion inutile, affirme Bertrand Vergely. Vivre consiste à vivre pour soi, en découvrant là une forme de liberté. Camus disait qu'importe de vivre d'une façon absurde, si l'on se sent vivre. Cela m'amène à devoir étendre l'éthique et le moral dans cette allocution. Je trouve plutôt incomplète cette phrase. Quand le monde manque de vie intérieure et de liberté, ce manque entraîne les crises morales et spirituelles auxquelles nous assistons. Parfois les mots ne suffisent plus à part que de vouloir panser des blessures qui ne cessent de s'épandre. J'ai souvent dû devoir lutter contre moi-même pour me reconnaître. Sagesse et action se confondent. Aristote a fait de l'action le fondement de toute sagesse. 


21 octobre |

Ne pas s’intéresser à l’indifférence pourrait équivaloir à être indifférent par surcroit. Ainsi, comment ne pas devenir indifférent dans un monde que l’on perçoit indifférent ? Cela dit, je fais quoi pour être bien dans ce monde ? Je pense qu’il faut observer et avant tout surtout s’observer. Je dois faire attention que ma déception ne se transforme pas en amertume qui, avec le temps, pourrait devenir de l’indifférence. Sur quoi porte mon attention, grandis. Pourquoi souffrir avec ce qui échappe à mon contrôle ? J'ai toujours aimé me poser des questions. Depuis la retraite, la philosophie et la littérature ont pris une place considérable. Je commence à obtenir des résultats tangibles de ces expériences reliées à l'étude de la pensée et de ses dérivés. De grandes questions se posent de nature à mieux me comprendre ainsi que le monde qui m'entoure. Les lieux de rencontres et d'échanges reliés à l'esprit neutre et volontaire sont quasiment inexistants. En omettant d'alimenter son esprit, il dégénère rapidement, souillé par la peur et l'ignorance. La question que se pose un grand nombre de gens est de savoir où prendre ses sources aujourd'hui pour être ou se maintenir heureux. Bien entendu, il y a le support que nous apportent la famille et les amis. Mais bien au-delà de cela, il faut bien savoir se relever les manches et passer aux études de son esprit, comme je dis. Au départ, mes trop grandes questions étaient influencées par des carences sévères. Avec le temps, je suis devenu ce que je pense en grandissant avec un surplus d'anxiété. Mes principales préoccupations étaient de rester la tête au-dessus de l'eau pour ne pas périr. Les réflexes et la pensée découlant des dangers issus d'un lointain passé m'ont ostracisé. Ce soir, j'ai participé à un atelier philosophique où se rassemblaient, pour la plupart, des néophytes en la matière. C'est à ce moment que je vis à quel point mes études et ma motivation ont porté fruits. Le jour où je cesserai d'apprendre, je serai mort. Plusieurs questions existentielles proposées par le groupe étaient mises sur la table, une seule fut sélectionnée. Rapidement, l'enthousiasme a pris son envol, comme quoi, le besoin de réfléchir en groupe est viscéral mais insuffisamment pratiqué. Sans cela les discussions d'usage prennent des allures de monologues ou de stations de nouvelles superficielles aux consommateurs et aux idiots. Quand je ne dis rien, je pense encore est une très belle allocution et aussi le titre d'un recueil poétique de Camille Readman Prud'homme qui résume son œuvre sur la pensée. On prend souvent pour acquis la pensée associée aux mots et aux idées de tous genres provenant  d'interprétation erronée, d'erreurs de jugement, de manque de discernement et d'émotions vives. Je crois avoir passé la plus grande partie de mon temps à parler seul. C'est arrivé, au commencement, par habitude et non pas par désir. Plus tard, beaucoup plus tard, à mon éveil, si je peux appeler cela ainsi, j'ai su reconnaître la cacophonie et le chaos en moi et autour de moi. Un profond malaise s'installa et ne m'a plus jamais quitté, jusqu'au jour où j'ai commencé à lire et à écrire. Et la paix et le calme s'installa durant ces simples gestes. Depuis, je me sens moins seul. En réalité, comment le serais-je, puisque je suis avec moi-même. On croit que ceux qui ne parlent pas ne pensent à rien et que ceux qui sourient sont heureux. On croit aussi que ceux qui sont convaincus ont raison et que ceux qui écoutent obéissent. Souvent, lors de situations difficiles, je me suis retrouvé seul mais jamais dans une totale incohérence. À force de ne pas être raconté, certaines choses s'éloignent et se transforment en secrets involontaires. Je me retrouve alors disjoint avec des fragments de vie. Parfois, mes souvenirs éclatés sont si nombreux que je pense que je ressemble à un garage. J'ai entreposé dans ma tête tellement de choses hors d'usage et autant de connaissances inutiles que je ressemble à des décorations de Noël au mois de mars. Je ne suis plus apte, comme auparavant, à discuter avec quelqu'un, en découvrant que je parle au vide. La personne est là, mais ce n'est plus qu'un corps inerte. Maintenant, je poursuis mon élan ailleurs. En réalité, je l'ai toujours fait par instinct de survie. J'ai appris dans la cacophonie, à force de la côtoyer, que la conversation prend le ridicule du boxing day, parce que dans cet empressement, dire devient prendre, et prendre veut dire n'importe quoi. Discuter doit être comme alimenter un feu. Dans cette discussion, je reconnais que les désaccords peuvent apparaître comme une preuve de sérieux et que c'est ainsi que les liens peuvent se créer et de nourrir.


18 octobre |

J'ai tout le temps rêvé d'aventures au point que le nom de l'entreprise créée en 1994, et qui a perduré plus de trente ans, portait le nom de Vert l'Aventure. Très tôt, je croyais pouvoir devenir un bon marin. Je me suis engagé dans la Garde côtière canadienne comme serveur pour les officiers. Les navires étaient des brise-glaces qui naviguaient sur le fleuve, le golfe et l'estuaire du Saint-Laurent. Plusieurs fois dans l'année, des expéditions eurent lieu dans les Territoires du Nord-Ouest et l'Arctique. Ce fut l'enfer et l'une des plus mauvaises expériences de toute ma vie, du fait notamment que le mal de mer me poursuivait sans cesse. J'ai appris que j'avais davantage le pied terrestre que marin. À cette époque, les navires étaient vieux et l'équipage était uniquement composé d'hommes plutôt durs et coriaces. J'ai rapidement appris que vivre sur un navire était similaire à vivre dans un pénitencier. Tout en acier, avec des horizons froids et glaciales pour distraction, sans aucun espace vert et avec comme seul divertissement, le travail et l'accumulation de temps supplémentaire pour les primes, quel horreur. Mes illusions ont rapidement fondu comme neige au soleil et surtout avec les initiations macabres aux marins amateurs que je fus. Et les heures étaient très longues sur ces opaques bastions voguant sur les mers solitaires et colériques. J'ai traversé ainsi le cercle arctique avec une bande de cinglés à mes côtés, car même les pénitenciers n'en voulaient pas. Et vogue la galère, comme on dit, jusqu'à la prochaine terre où j'ai mis fin abruptement au contrat nauséabond de misère et d'austérité. C'est comme ça que j'ai appris que l'argent ne règle pas tout, je l'ai bien compris à la dure, comme le reste. Aujourd'hui, la vie est différente à la Garde côtière, heureusement pour ceux qui naviguent leur mal à l'âme. J'aime la philosophie, car j'y apprend, en autre, que la tristesse et la philosophie sont incompatibles. Lorsque je romps avec mes rêves et mes désirs, je deviens triste et oppressé. La tristesse est signe de conflits intérieurs. Le désir n'est pas le résultat d'un savoir. Il est un élan, d'où la difficulté de comprendre la tristesse. Être triste revient donc à penser et, le cas échéant, à philosopher. La conscience nait au monde par la sensibilité capable de s'émouvoir comme de s'attrister. Je suis la totalité de ce que j'ai vécu. Il est réconfortant de savoir. Se savoir perdu ou de se savoir sauvé, c'est dans tous les cas savoir, ce qui rompt avec l'angoisse de l'incertitude. Je lis quelques pages de la petite philosophie pour jours tristes de Bertrand Vergely pour mettre de la gaieté dans mon désespoir. Paradoxal, mais vrai. Ce n'est pas en évitant certains sujets qu'ils vont s'empêcher de se manifester. Il n'y a rien de plus angoissant que de ne pas savoir. Il peut être autant angoissant de ne pas savoir quoi faire. Être trop conscient peut apporter son lot d'angoisse, car l'existence même est remplie d'angoisse pour les pauvres hommes que nous sommes. Il y a en nous des vertiges issus de la conscience. Rien n'est pire que l'indifférence. En me heurtant à elle, j'ai l'impression de ne pas exister. Partout où je vais, l'indifférence est là. Une façon de l'éviter est de montrer ses dollars en poche, sa carte de crédit, son compte de banque avec, bien entendu, des fonds suffisants pour exercer sa crédibilité. Mais au-delà de ça, l'indifférence règnera toujours. Ma trop grande sensibilité à cet effet me rend triste. Elle me renvoie ma propre inutilité. L'indifférence est humiliante et surtout terrifiante. C'est une forme de mort dans la vie. L'inhumanité s'installe vite, quand on n'y prend pas garde, dit Bertrand Vergely. L'indifférence que certains portent envers autrui finira par se porter contre eux inévitablement. J'apprends de plus en plus à ne pas donner trop d'intérêt à ce qui n'en vaut pas la peine, sans pour autant être devenir indifférent, ce qui n'est pas toujours évident. Les choix sont parfois cruels et injustes. Je ne dois pas me montrer indifférent envers moi-même à vouloir jouer au sauveur. La société du spectacle périra lorsqu'elle ne fera plus rire personne et lorsque notre attention ne portera plus son regard vers ce qui est superficiel. Une seule chose freine la banalité, que l'on ne s'intéresse pas à elle. Mais comment freiner l'indifférence ? Ne pas s'intéresser à elle pourrait équivaloir à être indifférent par surcroît. Penser consiste à devenir insensible à tout ce qui ne me conduit pas vers une réelle découverte de soi-même, dit Vergely, ce à quoi j'adhère totalement.

17 octobre |

Cossé qu'ça donne icitte ? me dit spontanément une vieille dame. Trop savoir ne rend pas plus heureux que de rien savoir. Un médecin m'a déjà dit que l'anxiété et la dépression sont la même chose. La dépression c'est lorsqu'on regarde en arrière, l'anxiété en avant. L'un et l'autre s'enlacent. Ce n'est plus un sujet tabou, mais encore. Il fut un temps où les hommes vivant des émotions l'étaient aussi, mais encore. Dans le prochain chapitre, je ferai un retour en arrière sur mes voyages passés pour comprendre ma trajectoire et pour ne pas oublier ces moments qui ont fait ce que je suis devenu. Tout a commencé en marchant. J'ai marché pour le bien-être que cela me procurait et surtout pour oublier d'où je provenais. C'est comme ça qu'à l'adolescence, j'ai commencé à arpenter la ville du matin au soir, été comme hiver, beau temps mauvais temps. Je marchais sans cesse, en repassant plusieurs fois sur les mêmes artères dans la même journée. Plus tard, je découvrais le cyclotourisme. C'est ainsi que j'ai appris que mon besoin d'aventure était immense, jusqu'au jour où je fus repêché par des américains pour accompagner des groupes de cyclistes en Europe. Plus tard, j'ai créé ma propre entreprise de voyages d'aventures. C'était, grâce à mes nombreux voyages et à l'expérience acquise avec les américains, que ma motivation et ma détermination prirent de l'ampleur. Les premiers séjours à vélo se déroulèrent au Québec pour ensuite s'effectuer en Nouvelle-Angleterre. C'est à ce moment-là que je compris qu'il n'y aurait plus de limites dans ma capacité à devenir un organisateur aguerri et un guide à la fois passionné et téméraire. Les voyages de randonnées pédestres suivirent beaucoup plus tard, les besoins en ce sens étaient très grands. Débutèrent alors une série de longues et impératives randonnées sur les grandes montagnes au États-Unis.  J'étais au bon endroit et au bon moment. Internet n'avait pas encore vu le jour et les gens n'avaient aucune autre possibilité de se rencontrer ailleurs que dans ces clubs qui étaient plutôt rares à cette époque. Le succès fut à ce point immense que j'entrepris d'offrir plusieurs activités à caractère sportif et social par semaine. Après les séjours au Nord-Est des États-Unis que je connaissais comme ma poche, j'entrepris des périples plus loin, notamment dans le Sud-Ouest américain et qui connurent un franc succès. Quelle gloire fut pour moi d'aller au Grand Canyon avec un groupe que j'avais moi-même constitué. Je me sentais invincible. Rien ne m'arrêtait. Ma réputation était telle que j'étais inondé d'appels de gens qui voulaient se joindre à mon entreprise. Les participants faisaient partie d'une grande et joyeuse famille. Les réseaux et les amitiés se multipliaient et la demande était forte. Pendant plusieurs années, il y avait jusqu'à six activités par semaine. Ma forme et mon enthousiasme étaient resplendissants. Lors d'un séjour d'exploration à Cuba avec un ami de l'époque, j'ai décidé que l'entreprise que j'avais créée en 1994 prendrait son envol à l'international. C'est ainsi que débutèrent une série de grands voyages d'aventures qui me transporta sur tous les continents. C'est surtout l'Europe qui m'attirait le plus. Dans les années qui suivirent, je fis plusieurs allers-retours sur le vieux continent pour réaliser mes rêves avec une multitude d'intrépides aventuriers. La première fois que j'ai mis les pieds en Europe, ce fut en Hollande pour un voyage de deux semaines en cyclotourisme. J'y ai fait sept fois le tour à velo, la plupart du temps sous la pluie avec des groupes de joyeux cyclistes amateurs. Ma première journée en Europe fut Amsterdam où la Hollande venait de gagner la coupe du monde de soccer contre l'Allemagne. Vous imaginez le délire dans les rues. Plus tard, la France et la Suisse m'accueillirent avec ses grands festins de circuits cyclotouristiques d'envergure accompagnant de riches américains. Ces trois premières destinations, j'accompagnais des groupes pour des agences spécialisées en tourisme d'aventure. Plus tard, confiant en moi et au meilleur de ma forme, j'organisai une série de voyages de randonnées pédestres dans les pays suivants : Italie, Sicile, Corse, Croatie, Espagne, Grèce, Turquie et Maroc. Il y a eu aussi les nombreux séjours en Amérique centrale et du Sud, avec plusieurs destinations dans les Caraïbes : Équateur, Panama, Costa Rica, Nicaragua, Guatemala, Mexique, Cuba, Guadeloupe, Ste-Lucie, la Dominique et les Bahamas. Le Vietnam fut mon seul voyage en Asie où j'accompagnais un groupe de joyeux plaisantins. De tous ceux énumérés, mes préférés furent l'Italie et la Grèce. Sur les vingt voyages de groupes organisés en Europe, le mois d'octobre était mon mois de prédilection pour sentir les arômes et marcher sous la fraîcheur loin des hordes de touristes. À chacun des voyages, je devais me rendre à destination seul ou accompagné d'un volontaire, une année avant le voyage, afin de planifier un programme unique et personnalisé selon mes goûts. C'était ma création, mon art. J'avais cette capacité extraordinaire à offrir du rêve. La seule destination qui m'a échappé est le Royaume-Uni, qui demeure encore dans mes cartons, cette fois-ci à titre personnel car ma carrière a terminé à la pandémie en 2020. Depuis ce temps, je passe quelques mois d'été en petit campeur dont je me suis porté acquéreur depuis la retraite. Je n'ai cessé de bourlinguer alors les routes d'Amérique du Nord à la recherche de chemins de travers et de paysages sublimes. Cet automne marque un point important de cette vie d'intenses mouvements. Il me reste qu'un grand périple à vélo aux États-Unis à réaliser pour qu'enfin je termine cette longue liste vieille d'un demi-siècle. Peut-être irai-je en Angleterre plus tard ou bien retournerai-je en Italie ou en Grèce, je ne sais pas. Je ne sais plus ce qui adviendra de moi après tous ces grands projets qui prirent une place colossale dans ma vie, au point de m'en être identifié. Quel choc fut d'apprendre à la retraite que je venais de mourir de tout cela. Longtemps, j'ai cru que je n'étais fait que pour ça. Et c'était vrai. Il y a très longtemps que ma première fugue a débuté. Il serait grand temps que je rentre au bercail pour voir si j'y suis encore. Dur à suivre le monsieur, n'est-ce pas ? Tout change sans cesse bien malgré nous. C'est dans une vigilante attention que je perçois l'essentiel. Rompre avec certaines habitudes pour percevoir ce qui ce cache en dessous de chaque chose, chaque pensée, chaque geste. Tout se résume en un seul mot ; impermanence. Ce qui a été ne change plus. Ce qui a été n'existe dorénavant que dans ma mémoire. Cela est rassurant  parfois et aussi cruel de penser que je ne reviendrai plus celui que j'ai été. Reste ma mémoire pour retracer mon histoire et l'intégrer dans l'instant présent qui passe.