27 septembre |
Partout, la redoutable importance de ce qui n'est pas, de ce qui n'est plus ou de ce qui n'est pas encore, donne support à ce qui nous frappe. Au second concert de musique classique aujourd'hui, un jeune homme aux longs cheveux blancs avec une casquette crasseuse poussait, ce qui semblait être sa mère dans un fauteuil pour infirme. Couchée sur le dos, recroquevillée sur un côté, la figure cachée par de longs cheveux blancs mêlés, elle était triste à voir. Comme hier, j'étais au première loge du concert. La dame et son fils s'installèrent en face de moi. Les premières sonates de violon étaient pour rappeler la mort et la vie éternelle qui nous attend tous. Tout le long du concert, il m'était très difficile de penser à autre chose qu'à ce vieillard au corps déjà parti pour un sommeil éternel. Son fils prenait des photos d'eux comme s'ils savaient qu'elle le quitterait bientôt. Son corps frêle et malade tentait de suivre la main du violoniste. Je ne pus m'empêcher de penser à ma propre mort et à la vieillesse qui me court après. Je n'ai pas passé un joyeux moment et suis ressorti le vague à l'âme. Plus tard, je suis allé au centre de méditation. Pendant l'heure qui suivit, fixant un point lumineux dans une salle remplie de douceur et de silence, j'ai compris alors à quel point mon esprit tourbillonnait d'un trop plein de pensées et d'émotions. Mon corps a relâché des tensions que je ne pouvais même pas imaginer abriter. Je suis en train de revoir mon agenda afin d'établir une routine qui convienne à mon corps, mon âme et mon esprit. Je fus, dans les derniers mois, un mauvais conducteur de la réalité. Je ne sais pas très bien où tout cela a débuté. C'est comme si je m'étais déserté et qu'au retour à la maison, je découvrais que le vide et la désolation avaient trouvé refuge en moi. Nous devons nous y habituer, aux plus importantes croisées des chemins de notre vie, il n'y a pas de signalisation. Je ne sais pas toujours si je fais ce qu'il faut. Cette impression de n'être pas totalement à ma place. Il y a de ces instants, au départ ou au retour de voyage, où tout peut basculer. Et puis, lentement, la mémoire du corps, celle des gestes, de la respiration, fait son travail. Il y a des moments où tout apparaît parce que rien n'apparaît. Le vide devient un plein. De la lecture émerge un monde. Je lis parce que je suis libre. Je suis libre parce que je lis, disait Dominique Lebel. Il n'y a pas de libertés sans des gens libres. J'ai tendance à vivre ma vie de trop près et de trop loin à la fois. L'écrivain ou le blogueur est libre. Il n'a de comptes à rendre à personne, sauf si ce n'est qu'avec lui-même. La littérature n'a pas à être propre, sage, bien comme il faut. Elle n'a pas à se conformer aux bonnes manières. Elle n'est pas nécessairement gentille ou empathique. En méditant sur ces réflexions, je prends mon envol, j'acquiesce à la sourde indifférence, je m'enracine et surtout j'apprends à me dépasser. Si la littérature n'existait pas, je devrais l'inventer. Même les livres de ma bibliothèque agissent sur moi en étant fermés. Lire c'est vivre plus. Lire est une façon d'échapper au monde qui m'entoure. Lire permet de voir ce que l'on ne voit pas avec les yeux. J'ai longtemps cru que je pouvais vivre dans un monde parfait, comme si la vie parfaite existait. En réalité, je n'aimais pas celui qui portait mon nom. Serge Bouchard disait avant sa mort : asseyez-vous et lisez en paix. De tout temps, c'est l'ennui qui m'a habité, façonné. L'ennui, c'est lorsqu'on voit le temps passer. L'ennui dilate le temps et lui donne plus de valeur. Chercher à fuir l'ennui serait comme se fuir soi-même. Pourtant, c'est l'ennui qui porte à créer. Écrire ces paroles sur l'ennui me permet de l'extirper ou sinon de m'en faire une amie. C'est l'un des meilleurs moments de l'année pour faire de la photographie. La cité connait ses plus beaux jours de gloire sous la lumière qui jaillit doucement.
27 septembre |
Une jeune femme mariée à un américain me raconte que la bonne nouvelle depuis que Trump est au pouvoir est que ses actions ont grimpé de même que celles de ses proches. Cette réponse est sans aucun doute un manque flagrant de discernement ou bien elle omet de mettre cela dans une perspective éclairante. Les ravages sur plusieurs cerveaux sont en lien avec le formatage des médias, de la téléphonie mobile et de la culture portative internet. Le plus pathétique de l'affaire, en discutant avec un grand nombre de demi-savants demi-habiles, est cette évidente difficulté à nous écouter les uns les autres, chacun vociférant à la cantonade le condensé radical de son point de vue particulier. Combien de fois, lors de mes promenades ici ou ailleurs, ai-je constaté que, littéralement partout, jusqu'aux fermes les plus reculées, palpitent les lueurs des écrans censés nous relier à nos contemporains et qui n'aboutissent pourtant qu'à plonger le monde entier dans une gigantesque solitude collective. Ce texte de Denis Grozdanovitch exprime bien ce que je ressens. Pour me ramener dans des idées plus joyeuses, je fais de grosses soupes chaudes et goûteuses en tentant de me concentrer quelques instants sur des choses simples et infiniment petites. Au parc, je regarde les enfants s'amuser avec leurs familles en pensant à l'unité qui les relie. Combien de nouvelles espèces animales ont disparues aujourd'hui ? Ça devient banal comme toutes les nouvelles qui traversent le fil de l'actualité. On en est venu à banaliser la vie humaine et la vie tout court. Nietzsche écrit : nous croyons savoir quelque chose des choses elles-mêmes quand nous parlons d'arbres, de couleurs, de neige et de fleurs et nous ne possédons que des métaphores des choses, qui ne correspondent pas du tout aux entités originelles. Déjà que c'est compliqué de se faire comprendre avec toute sa tête, imaginez un instant lorsqu'elle est nimbée de brume et d'émotions. Dans la douleur, il est bien de mettre des mots mais ils peuvent subitement s'avérer incompréhensibles. Alors là on voit que l'esprit et le cœur sont souffrant. Aujourd'hui, j'ai assisté au plus beau concert de musique classique. L'église était remplie de gens venus se retrouver dans l'harmonie, la beauté et le chant. Le silence dans la salle était sublime. Ce recueillement arrive au bon moment. Il est tard, je n'ai pas envie de dormir, je lis. J'aime me promener dans la ville lentement sans avoir d'objectifs, regardant autour de moi les passants tout comme le faisait Taniguchi, créateur de mangas japonais. Friedrich Mitterwurzer écrit en 1895 : les gens sont las d'entendre parler. Ils ont un profond dégoût des mots car les mots se sont interposés devant les choses. L'ouï-dire a envahi l'univers. Nous sommes en possession d'un affreux procédé d'étouffement complet de la pensée sous les concepts. Ajoutez en plus internet, les médias sociaux. La coupe est plus que pleine, elle déborde au point d'annuler toute vérité et de banaliser tout point de vue ou opinions. Il n'y a pratiquement plus personne qui soit capable de dire ce qu'il éprouve et ce qu'il n'éprouve pas, tellement les silences sont rares. Que les églises deviennent des lieux de recueillement pour des retraites spirituelles seraient la moindre des choses où tous et chacun n'ont plus aucun emprise sur la marche du monde. Nul ne se soucie dans la communauté de la santé psychique des gens à part quelques volontaires intéressés qui n'ont pas le pouvoir de changer l'ordre des choses. Cela me fait penser à nos routes, un peu de vernis pour masquer le tout et l'on recommence à la première brise. J'ai lavé mes nombreuses couvertures pour ma prochaine hibernation. Je n'aime pas les lectures faciles, je ne tiens pas à ce que mon cerveau s'assèche. J'aime lorsque les auteurs introduisent des textes tiers dans leurs œuvres. Ces insertions subtiles apportent une plus grande maturité en sortant l'auteur sporadiquement de sa sphère. La vie se parle d'elle-même. Beaucoup de gens l'ignorent et s'effondrent à force de vouloir dire la vie. Les dialogues nous cachent toujours quelque chose. Les mots sont bien souvent secondaires mais j'avoue que je les aime. Ils apportent un sens à mon existence lorsqu'ils se rapprochent de l'exactitude, du moins la mienne. Mais je sais bien que cette recherche masque des peurs abyssales. Rien ne vaut une cure de silence pouvant extirper la grande parlerie dans laquelle se complaît l'humanité moderne par l'intermédiaire des technologies et d'infinisimes réseaux de médias bavards et insolents. C'est toujours après une méditation que mes mots sont les plus justes. Il est bien dommage que je sois tant effrayé par le vide qui, en effet, n'est qu'une pure illusion. Cela démontre bien la peur qui m'habite. J'ai ici mis le doigt sur quelque chose d'important, à savoir que les mots me suffisent à condition qu'ils soient utilisés à bon escient et qu'ils ne tournent pas sur eux-mêmes. Tout comme Denis Grozdanovitch, je laisse parler autrui dans mon journal pour ensuite élaborer mon point de vue et mes élucubrations. En faisant une recherche sur l'auteur, je constate bien étrangement que nos visages se ressemblent. Définitivement, je ne me lasse pas de lire la gloire des petites choses. Ce n'est certes pas un livre grand public, c'est pour cette raison qu'il me plaît. Mon père décédé trop tôt passait son temps à écrire. J'aborde des textes à sa façon, comme quoi il m'aura transmis quelque chose de bon et nourrissant de son vivant pour que je puisse me rappeler de lui.
26 septembre |
La connexion technologique devient une façon d'être. La connexion modifie notre rapport à nous-mêmes, aux autres, et au monde. La connexion engendre une série de conséquences qui nous font perdre le contact avec la réalité. Le téléphone est devenu une extension de nous-mêmes. À chaque nouvelle journée, je me surprends de voir combien de gens sont devenus addicts à leurs téléphones. Un fossé sépare les jeunes qui ne vivent que pour eux. Ça me donne le vertige. Sans eux, ils se sentent isolé et trop peu cool. La plupart des gens d'aujourd'hui vivent désormais la tête penchée. Être connecté, c'est avoir un fil à la patte. Le monde de la connexion fragilise le lien social. Je n'échappe pas malheureusement, à cette folie, à cette dépendance, car elle en est une. Je me reconnais artiste dans mon goût pour l'oisiveté, un peu comme Tabaguchi dans sa déconnexion et sa lenteur. Lorsque je ne crée pas, je me sens désœuvré. Lorsque je ne fais rien, je fais encore quelque chose. M'interrompre est une condition des succès futurs. Denis Grozdanovitch, écrivain français contemporain, raconte sa mésaventure dans un hôpital de Québec suite à une intoxication alimentaire. Il décrit les praticiens et les infirmières atrocement harassés et débordés qui vous expédient en quelques minutes sans vous prendre en réelle considération. J'ai exactement la même impression lorsque je dois rencontrer du personnel soignant de tous acabits. Cela m'apparaît presque inhumain ces rencontres où je me sens humilié et obligé presque de mendier. J'éprouve le même sentiment d'isolement et de perdition que Grozdanovith. Je me sens étranger et plutôt mal dans ma propre ville en demandant des soins, en appelant les services publics ou en m'adressant à quelqu'un ailleurs que dans les endroits où l'on veut mon fric. Je n'arrive pas à comprendre comment, de nos jours, l'indifférence est devenue la norme. Je ne m'y habituerai jamais. C'est comme si ma plus grande liberté résidait dans le fait de m'enfermer entre mes quatre murs. Je poursuis les chapitres de la gloire des petites choses de Grozdanovitch qui a aussi beaucoup de belles observations à raconter. Denis Grozdanovitch est l’un des rares écrivains à pouvoir publier aujourd’hui des essais en mêlant l’anecdote quotidienne à la pensée. Son style littéraire contemporain est poétique et esthétique. Il utilise la nouvelle parsemée de métaphores photogéniques pour enrayer la marche vers l'abîme où nous entraîne un monde gravement menacé par la maladie de l'expansionnisme et l'oubli de la beauté. La presse a salué à de nombreuses reprises son talent en tant que maître observateur et écrivain. Il est avant tout un grand anecdotier aux propos colorés et éclectiques. Non, je ne suis pas seul avec tous ces écrivains qui me révèlent à moi-même et au monde dont je semble faire partie malgré ses dissonances. Ne suis-je pas le plus important d'entres tous sans vouloir verser dans l'égocentrisme ? Ça c'est une autre histoire.
24 septembre |
L'espace se métamorphose. Il prend de l'expansion depuis que j'ai pris du recul il y a quelques jours à peine. J'ai fait des vœux afin que mes douleurs s'amenuisent. Je crois au miracle et surtout à ceux lorsque j'implore les dieux. Ce n'est pas tant les dieux auxquels je crois que la résonance de mes incantations dans l'univers. Un déclencheur soudain et imprévisible m'a fait perdre le contrôle de moi-même et a versé son flot d'émotions douloureuses et ankylosantes. Deux semaines se sont écoulées depuis cet événement au retour d'un voyage. Depuis ce temps, c'est la première fois que je réussis à écrire quelques paragraphes sans tomber dans le mélodrame. Comme il est étonnant de constater à quel point le corps et l'esprit réussissent à guérir des maux qui paraissaient, il y a à peine quelques jours, infranchissables. Depuis deux mois, des imprévus se succèdent à une vitesse accélérée. Dans la confusion la plus totale, j'ai perdu tout contact à la réalité et au goût de vivre. Ce n'est pas la première fois que je vis cela. Je ne m'y habituerai jamais. C'est comme si quelque chose mourait en moi. Ce qui me rassure, c'est que je suis en bonne santé et ma résilience survit encore. Je dois avoir encore appris de cet épisode qui m'a littéralement plongé dans les abysses. C'est en partie dans le silence et l'immobilité que mon esprit se régénère. C'est dans l'action que je me retrouve. Ma douleur provient d'attentes trop élevées et de croire que les autres vont me sauver. Les autres sont importants pour partager, s'entraider et apprendre. Encore faut-il que l'amour soit véritable et ne réponde à aucune condition. Ce soir, j'ai disposé une nouvelle chaise à ma fenêtre pour m'offrir une nouvelle perspective. Deux nouveaux cadres viennent remplacer des peintures que je ne voyais plus. Un nouveau panier de fruits et quelques petites modifications me donnent l'impression de renaître à nouveau. On appelle ça se transformer. J'ai fait de nombreuses mises en action dans le but de me secouer de ma torpeur. Je tente de mieux cheminer, moi qui m'étais endormi les derniers mois. J'ai compris cette semaine qu'il est inutile de procrastiner et de tourner en boucle les mêmes vieilles pensées qui n'apportent rien. J'ai compris qu'il me faut agir dans la bonne direction et surtout vers moi-même. Le problème, c'est que je ne sais toujours pas où et comment agir dans mes intérêts et mes convictions. La fenêtre chez moi est grande ouverte ce soir. Les lumières sont éteintes. J'aime cette nouvelle place qui donne sur la rue et sur les passants. C'est le matin que mes douleurs sont les plus intenses, comme la plupart des gens anxieux. Je reprendrai contact avec un ami avec qui, il y a un an, la communication a été interrompue. Cela me réjouit profondément. La vie n'est pas toujours un long chemin tranquille. Il paraît que l'on récolte ce que l'on sème. Je ne dois pas être un bon paysan. Mais dites-moi donc pourquoi j'existe à part pour me raconter des balivernes ? Quel est le sens de ma vie et que faire pour y arriver ? Peut-être faut-il toujours recommencer en boucle les mêmes essais, les mêmes erreurs. Romain Rolland disait qu'une fois ma carrière révolue, mon rôle joué, ma loi exécutée, il me reste, comme aux vieux acteurs des grands siècles de vue complète, à me retirer de l'action dans la contemplation qui la domine et la pacifié et à goûter, encore vivant, l'ordre total, supérieur aux efforts agités et contradictoires d'ordres individuels. Ce texte n'aime et à m'interroger sur les actions à prendre ou à ne pas prendre. Peut être ne me suffirais-je que davantage de contemplation et moins d'agitations. Quelle est la vérité sinon de toujours vouloir la rechercher ? Et aussitôt que je la trouve, elle s'enfuit à nouveau. L'erreur sincère n'est le mensonge, elle est l'étape de la vérité. Si l'esprit peut impunément brûler les étapes, dans le monde des faits, on avance pas à pas. Nature me l'a imposé. Enfant chétif, ne me mêlant point aux jeux, adolescent solitaire, écarté de l'action et des distractions violentes, que me restait-il qu'à voir ? Voir toujours us loin, plus net. Mon regard s'est souvent aiguisé dans la solitude. Et de bonne heure, je vis par-dessus les têtes de mes compagnons qui jouaient, par-dessus les troupeaux humains qui soulevaient des tourbillons de poussière. Et ce que je vis, me saisit d'effroi. Comment ne pas être fasciné par tous ces hommes de la littérature qui ont tant recherché la vérité, qui ont tant chercher à se connaître et connaître le monde ?
20 septembre |
La prise de conscience de soi, de sa situation se fait en partie dans le miroir tendu de la littérature. Elle permet l'éclaircissement de l'opacité de la vie qui nous empêchent de voir la réalité et des émotions qui obstruent la nôtre. Renaître à soi dans la complexité de ce que je suis devenu. Lorsqu'une place est à notre mesure, nous n'y apprenons rien. Celui qui choisi la femme qu'il faut, perd toute chance de faire des expériences. Celui qui trouve son métier ne fait que s'enfermer en lui-même. Celui qui ne joue que sur des claviers dessinée sur mesure pour lui n'apprends plus rien avec ses doigts. Le mot expérience vient du latin éprouver. Toute expérience est étymologiquement reliée à une mise en danger, elle est une traversée qui suppose un certain risque. S'insérer parfaitement dans le réel comme la pièce manquante du puzzle, ce n'est pas faire d'expérience, c'est s'y soustraire. Ce n'est pas se mettre à l'épreuve, c'est se cacher dans un trou du réel. Cette vie sur mesure où nous pensions ainsi nous accomplir est une vie fausse qui ne nous apprend rien, selon l'inconnu du monologue. Les choses et les circonstances qui nous vont comme un gant ou que nous avons taillées sur mesure nous privent de nous heurter au monde, autrement dit de faire des expériences. La chaussure sur mesure trompe le pied en le privant de l'expérience de la racine et du caillou. Et si c'était sur nos ruines que s'entende les voix les plus sincères. Si loin que je parte, géographiquement ou symboliquement, ce voyage pourrait n'être qu'un long détour qui me ramène à moi-même et affirme, à ma grande surprise, mon enracinement. Il faut parfois suivre les vents, dériver avec les courants, s'écarter pour revenir à soi par une autre voie. Le plus court chemin n'est pas forcément celui qui nous mène là où nous voulions aller. Il n'est d'ailleurs pas certain que nous sachions vraiment où aller. On ne se pose pas toujours avec aisance sur un fil fragile. Il nous arrive tous d'être maladroit, insouciant. On n'atteint pas toujours nécessairement sa cible. Où bien, on s'y écrase trop vite.
13 septembre |
Comment sortir de cette cage qui m'empêche d'être moi-même ? Que faire lorsque je ne suis pas chez moi dans mon corps au point d'être tenté parfois de l'effacer, de l'abîmer, de le déserter ? J'aimerais qu'il existe des lieux stables, immobiles, intouchables, enracinés: des lieux qui seraient des références, des points de départ, des sources. L'espace est un doute, il ne m'est jamais donné, il faut que j'en refasse la conquête disait Georges Perec. Si je n'ai pas connu l'insouciance de l'enfance, si l'on m'a refusé cette première place, ma vie d'adulte devient fragilisée par cette ellipse douloureuse. Cette grande absence prend toute la place jusqu'à obscurcir ce qui est là, vivant, mais toujours à distance, voilé. Les affres du passé, comme des gouffres de tristesse où l'on s'enfonce parfois, continuent d'aspirer mes élans. Dans cette existence plus jouée que vécue, l'esprit reste absorbé par l'irréparable. Il me manque des lieux qui m'identifie, me contienne, me rassure. Des lieux liés à ma naissance, mon histoire, qui témoignent de ma présence, la confirme et la soutienne symboliquement. Par de nombreux instants, ma vie n'est pas sûre, le sol s'affaisse sous mes pas. Le passé me fragilise, me trahit. Ce qui a disparu pèse plus que ce qui est. Je passe mon temps à tenter de soigner l'enfant que j'étais et qui m'empêche de devenir un adulte. J'ai souvent tenter de me concentrer pour que rien ne paraisse de mon trouble et pour présenter la figure d'un garçon gentil, fort et habile. Ma vie est remplie de fantômes qui ont disparus trop tôt. Comment accepter de perdre ce que je n'ai pas connu ? Je me suis si souvent senti étranger et toujours à contre-temps, un peu, pas mal en décalage, parfois rigide, incapable de m'insérer avec fluidité dans les échanges et les mouvements. Il m'a toujours manqué de grammaire sociale me permettant d'être dans le temps. Que le monde d'hier s'estompe est dans l'ordre des choses. Que l'on éprouve à son endroit une certaine nostalgie est également dans l'ordre des choses. De la disparition du passé, on se console facilement; c'est la disparition de l'avenir que je ne me remet pas. Le pays dont l'absence m'attriste et m'obsède, ce n'est pas celui que j'ai connu, c'est celui que j'ai rêvé, et qui n'a jamais vu le jour. J'ai erré là où le hasard m'a conduit, parmi des millions de gens qui m'ont traité si j'étais de l'air et ainsi je suis devenu de l'air. Les bruits et les cris du monde semblent ne s'adresser qu'aux autres. Et si la place qui compte le plus était celle que j'ai toujours le plus redoutée ? Et si c'était sur ces ruines que s'entende la voix la plus sincère ? Peut-être ne suis-je jamais à ma place parce que je ne suis ni une montagne ni un arbre et que je n'ai pas de racines. Mon hasard est plus que moi. Et s'il n'y avait que des places éphémères où l'on se pose le temps d'une mission ou d'une œuvre ? Si ma confiance se porterait mieux, j'aurais voulu écrire ces lignes. Cela viendra avec le temps. C'est lorsque tant de choses me paraîtront si lasses que ma volonté sera prête d'agir.
12 septembre |
Il m'est difficile d'écrire quelque chose d'intelligent ces temps-ci. J'essaie tout simplement de me reconnecter avec les beautés du monde et de retranscrire ce que je peine à raconter. Où est mon vrai lieu si ce n'est à l'intérieur de moi-même ? Ce vrai lieu n'est pas celui que l'on atteint comme une flèche sur sa cible, il est celui autour duquel on tourne, celui que l'on atteint malgré et sans doute grâce à la réalité de l'écriture. Ainsi, les ratés, les échecs de l'existence, les mauvais choix, les fausses routes, ne sont peut être pas seulement des moment de vie manqués, mais des expériences qui se construisent paradoxalement dans la déroute. Car c'est précisément cette impression d'une vie factice qui fait naître le sentiment d'une nécessité nouvelle, d'un autre rapport à l'existence. Il se pourrait pourtant que tout faire pour trouver une place nous amène à la manquer. Il est des rencontres éphémères qui nous bouleversent profondément, nous interrogent sur notre identité bien plus intensément que des années d'introspection. Quand on perd soudainement la place que l'on croyait sienne, on ne revient plus le même. Mais où est ma vie, où est mon corps, où est mon espace ? Ne pas être capable d'y répondre est la raison à laquelle, je ne peux pour le moment me permettre de créer en toute impunité et en raison des doutes qui m'implosent de toutes mes particules.
10 septembre |
Nous sommes nés avec l'amour. Et nous avons appris la peur. Le voyage spirituel consiste à répudier, à désapprendre la peur et à accepter le retour de l'amour dans notre cœur. Le sens ne réside pas dans les objets. Le sens est en nous. La peur est le manque d'amour partagé. Quand la peur s'exprime, elle ouvre la porte aux souffrances. J'ai, de toujours, vécu avec la peur qui a entraîné son lot de douleurs. C'est lorsque la peur est plus grande que l'amour que l'esprit décline des gestes ne correspondant plus à sa nature profonde. Il est facile de manquer de vigilance pour ceux qui ont peur, de même que l'hypervigilant perçoit mal l'amour autour de lui. Le résultat de ma chute est directement lié à mes peurs. Quand la peur s'exprime, elle prend la forme de plusieurs maux dont je ne citerai pas la liste exhaustive. L'amour est toujours en moi mais parfois il se terre par peur et confusion. C'est lorsque je bascule et que la terre tremble de mes souffrances qu'un moment d'arrêt s'impose. Pour que rejaillissent des éclats de lumière et d'amour, il faut avoir souffert. C'est le miracle. C'est la victoire de l'amour sur la peur.
9 septembre |
Pour le déserteur, la représentation confiante d'une vie comme trajectoire d'une flèche, la chaleur de ce sentiment intérieur d'avoir une existence et une importante disparaissent. C'est aussi l'impression d'adhérer, de baigner dans le monde qui se met à faire défaut. Le sujet se détache, se décolle du monde, cesse de faire corps avec lui. La distance s'impose, le doute s'immisce, le sentiment d'appartenance s'évanouit. L'évidence de la participation, de l'inscription, de l'immersion dans la réalité s'estompe. Il cesse d'être porté, soutenu par cette croyance d'un sens existentiel et d'une place qui soit assurance et reconnaissance. Le monde vacille ou plutôt s'éloigne du sujet. Au paroxysme de la souffrance, il ne peut plus écrire. S'il ne parviens pas à articuler sa souffrance dans une structure bien définie, il est foutu. La structure est le seul moyen d'échapper au suicide. L'effort général, permanent est indispensable pour échapper à l'apathie. La société où il vit a pour but de le détruire. L'armée qu'elle déploie est l'indifférence. Michel Houellebecq dit de creuser les sujets que personne ne veut entendre : la laideur, l'oubli, l'agonie. Je me bats contre des idées dont je ne suis même pas sûr qu'elles existent. Et si moi aussi je n'existais pas, je n'existais plus. Il y a trois ans, dans l'immeuble en face de chez moi, une résidence de religieuses vouée à la contemplation a laissé place à de grandes habitations modernes. Ce grand bâtiment sobre aux briques jaunâtres a été converti pour répondre aux besoins actuels, la contemplation et les communautés vivant sous un même toit n'étant plus à la mode. Les religieuses me manquent pour les avoir côtoyées en silence sous mes yeux pendant plus de trente ans. Depuis, le bruit et l'agitation transpirent sur la rue. Un livre se lit lentement, il demande réflexion, sans mouvement inverse, sans relecture. Chose impossible et même absurde où tout évolue, tout fluctue, où rien n'a de validité permanente, ni les règles, ni les choses, ni les êtres. La littérature s'oppose à la notion d'actualité permanente, de perpétuel présent. Je trouve que le monde qui m'entoure manque de profondeur, de relief. Tout semble uniforme, pareil. Il est possible que je ne vois plus les beautés du monde de la même façon. On passe rapidement à un autre sujet, la vitesse mène le monde. La dissolution de l'être est une dissolution tragique, et chacun continue, mû par une nostalgie douloureuse, à chercher tel un fantôme aveuglé ce qu'il ne trouve plus en lui-même, cette profondeur, cette permanence. La solitude est atroce. La publicité met en place un surmoi terrifiant qui répète sans cesse : tu dois désirer, tu dois être désirable. Tu dois participer à la compétition, à la lutte. Si tu t'arrêtes, tu n'existes plus. La publicité échoue, les dépressions se multiplient, le désarroi s'accentue. La publicité continue à perfectionner des moyens de déplacement pour des êtres qui n'ont nulle part où aller, parce qu'ils ne sont nulle part chez eux. La publicité continue à développer des moyens de communication pour des êtres qui n'ont plus rien à dire et à faciliter les possibilités d'interaction entre des êtres qui n'ont plus envie d'entrer en relation avec quiconque. La société a atteint un état de surchauffe de l'information. Elle n'impose pas nécessairement, mais elle s'avère incapable de produire une signification.
8 septembre |
Une amie a détruit sa voiture en dormant au volant. Elle était avec des membres de sa famille. Heureusement, personne n'a été blessé. Ce soir, j'ai personne à qui parler. Mon cœur souffre suite à un évènement dont je me suis profondément troublé. Et puis, je ne sais plus, je ne sais rien, tout chavire. J'ai de la misère à comprendre dans le silence, dans l'absence de l'autre. Ma vie suite à cet événement a été en proie à un choc terrible suivi d'une souffrance insoutenable au point de crier à l'aide. J'ai deux véritables amis sur qui je peux compter. Il y a des limites pour l'aide que je peux recevoir d'eux. Me sentir aimé et écouté sans jugement est le mieux qui puisse m'arriver. J'ai connu souvent ce genre de souffrances qui ont toutes le même dénominateur commun : l'abandon, le rejet ou le sentiment d'isolement. On pourrait penser que c'est une question de choix, mais si c'était si simple. Il est de ces épreuves ou il faut être soutenu. J'accepte difficilement les échecs et les erreurs, comme la plupart d'entres-nous. Certains s'en sortent mieux que d'autres. Il ne me sert à rien de ressasser le passé, c'est inutile. Il se manifeste sans m'avertir par vagues successives. Bien des questions existentielles tourbillonnent dans ma tête au point que je crois qu'elle va éclater. Je suis dans cette étrangeté de mourir. À mon corps défendant. À mon cœur dépendant. Aujourd'hui mon visage vient de se transformer.
7 septembre |
Je m'aperçus que le désir de toute ma vie n'était pas de vivre, si l'on peut appeler ça vivre ce que font les gens, mais de m'exprimer. Depuis les premiers jours de mon enfance, que je ne puisse dire ce que je ressens, ce que je pense, m'ennuie, m'irrite. Il y a un temps pour jouer et un temps pour travailler, un temps pour la création et un temps pour l'oisiveté. Et il y a un temps, glorieux aussi à sa façon, ou c'est à peine si l'on existe, où l'on est un vide complet. Je veux dire où l'ennui semble l'essence même de l'existence. Moi qui n'ai jamais tenu de journal intime, je commence à entrevoir combien est tentant et obsédant le désir de noter les progrès que l'on fait dans son voyage intérieur. Ces propos sont d'Henry Miller. Son écriture est l'expression de l'impossibilité d'un écrivain à exister dans une société hyperpositiviste et fonctionnaliste. Ses écrits retracent l'itinéraire d'un homme en marge du système, cherchant une réalisation de soi par un idéal de culture autodidacte et qui doit sans cesse lutter pour obtenir les moyens de poursuivre l'écriture de son œuvre. Après une trentaine de pages de Tropique du Capricorne, je m'arrête de lire soudainement, n'étant plus captif par l'ouvrage. Cela ne sert à rien d'insister. Le contenu est dense et trop lourd. Peut-être est-ce l'époque de misère où est écrit le livre qui m'affecte autant ou bien ce retour en arrière évoquant des événements au passé douloureux que j'aimerais oublier ? Je reviendrai plus tard sur quelques strophes, ne décelant pas pour le moment de sources d'inspiration suffisante. Est-ce ainsi pour ce qui est de ma vie, un manque total de motivation et de persévérance ? Je suis terriblement mal placé pour me juger, ayant la critique trop facile envers moi-même en allant même jusqu'à me sous-estimer. Je lis comme je voyage et je mange, trop vite. Je vis toujours comme si c'était ma dernière journée, mon dernier repas.
6 septembre |
Comment se fait-il que, dans un monde où la mémoire individuelle prend une si grande importance, la mémoire collective, elle, soit en si grande perte de vitesse ? La mémoire collective est sélective. La mémoire collective est rusée, surtout si elle parle de nationalisme. Les documents historiques se falsifient, les menteurs témoignent, les mensonges s'écrivent. Pourtant on a, depuis l'écriture, minimisé les récits oraux. Dans l'un ou l'autre, on ne peut s'y fier en totalité car la vérité est souvent manipulée par les hommes pour obtenir les résultats qu'ils veulent bien. Nous maîtrisons l'art de nous mentir à nous-mêmes. Nos plus grandes histoires sont d'immenses trous de mémoire, disait Serge Bouchard. Nous ne sommes qu'une matière qui, à travers chacun de nous, essaie de se révéler, sans jamais y parvenir. Je pense parfois en voyage lorsque je traverse les territoires aux hommes qui jadis, coupèrent tous ces arbres qui ont fait le Québec d'aujourd'hui. Ces forêts-là ne poussent pas aussi vite qu'on le voudrait dans la froideur et le vent. Il y a des choses qui ne changent pas et qui ne pourront jamais changé et ce, malgré toutes les bonnes intentions. Il vient un temps où l'on doit se résigner et cesser de se battre contre des moulins à vent. Les journées raccourcissent, le soleil devient plus timide à l'approche de l'équinoxe. J'aurai franchi une autre saison dans deux semaines en vivant ce que j'avais à vivre. Je n'ai point de regrets ni d'amertume à part, peut-être, d'être parfois rigide et intransigeant, en premier lieu avec moi-même. La fatigue l'emporte plus souvent qu'hier, signe de devoir ralentir mes ardeurs et faire des économies d'énergie pour les tâches les plus importantes dont je ne sais encore reconnaître.
S'il est un mot que je déteste, c'est le mot prestige. Ce mot est utilisé pour vendre de l'immobilier, des voitures, des marchandises, des biens et des services de luxe, paraît-il. Une carrière de prestige, une maison de prestige, sont souvent des termes utilisés à mauvais escient dans le but de vendre, de solliciter, de promouvoir. Le mot promouvoir est un autre mot dans lequel je ne me sens pas confortable car souvent galvaudé. Encore une fois, ce mot est utilisé à mauvais escient. La langue est riche encore faut-il savoir la maîtriser et en saisir des nuances. Prestige vient avec des signes de piastres et, pas seulement qu'une seule. Il y a dans ce mot une arrogance, un air hautain et prétentieux. Ce n'est pas un mot que j'utilise. Je le déteste, non pas par jalousie mais par dédain. Je vois souvent des véhicules ornés du mot prestige pour la décoration, l'aménagement, l'ameublement, la cuisine, etc. Aujourd'hui j'ai suivi une voiture arborant ce mot pour désigner des celliers de prestige. Que du marketing crasseux. Ce mot est utilisé à toutes les sauces car les promoteurs savent qu'ils influencent un tas d'imbéciles heureux. Et bien des gens se font prendre à ce jeu, car il en est un. Je vais devoir écrire beaucoup dans les prochaines semaines pour compenser l'immobilité et le repos forcé après avoir beaucoup voyagé. Le blues du retour l'appelle-t-on. Cela dure environ une semaine jusqu'au moment ou je reprenne une certaine routine. Cette routine est toujours en lien avec le gym, les marches quotidiennes et la cuisine. Avant cela, j'ai besoin de ne rien faire et de me reposer. Je dois avant tout cesser de penser, quoiqu'il me soit impossible. Minimiser leur nombre serait plus juste en effet. L'hypervigilance en voyageant requiert beaucoup d'énergie. J'en sais quelque chose, moi qui suis anxieux déjà de nature. De toujours, j'ai été hypervigilant. Ça use et ça fatigue à la longue. La méditation et le sport me sont essentiels pour rétablir une paix intérieure acceptable. Dans cette paix vitale et nécessaire, la créativité ne peut émerger adéquatement en harmonie avec ma véritable nature. Méditer me permet de me dissocier de l'égo et de reconnaître mon être intérieur, le vrai, le beau, le seul qui doit mérité mon attention. J'ai déjà commencé à me transformer seulement en exprimant ces propos. Il n'y a jamais de but à atteindre car tout est là dans l'instant présent.