Vélo | Adirondacks, New York State

5 septembre | Québec City

Grosse pluie cette nuit où j'ai dormi dans l'érablière près de St-Félix-de-Kingsey sur le bord de la rivière St-François au Centre-du-Québec. Au réveil, une vis du toit est tombée. Ne pouvant la remettre le tout en place, je frappe à la première maison du rang où j'ai passé la nuit. Deux gentilshommes ont réparé le tout, ne pouvant pas effectué cette tâche tout seul. Ils étaient déjà en train de trinquer à dix heures du matin. De plus, ils m'ont offert un gros sac de fruits de leurs poiriers. La vieille maison appartient à la même famille depuis cinq générations. Étant sur place, j'ai réparé le robinet du campeur, en prenant le temps de m'appliquer et obtenir des conseils. Je casse la croûte à Princeville en descendant la route 116 pour arriver chez moi en fin d'après-midi. À ce jour, j'ai passé quarante-sept journées sur la route depuis le mois de juin en campeur à faire des activités de plein air, principalement du cyclotourisme. Bonne nouvelle, je n'ai absolument rien à l'agenda pour les dix prochaines journées. J'ai fait l'épicerie et me reposerai quelques jours à faire la farniente, à lire et à écrire. Le chapitre est clos pour cette dernière aventure, mais le blogue n'est pas fermé.

4 septembre | St Félix-de-Kingsey, Rivière St François, Centre du Québec

On naît et on meurt seul. Entre les deux, l'espoir, les rêves et beaucoup d'illusions. À part ma carrière de guide, je n'ai pratiquement pas travaillé. Je n'avais ni le temps ni le goût du travail. Je voulais voir et comprendre le monde, sans à avoir à travailler. Parfois je me demande si j'y ai compris quelque chose. Maintenant, je dis que j'étudie. J'ai souvent commis des erreurs en omettant de me comprendre. J'ai surtout appris dans le mouvement. L'immobilité a toujours été quelque chose qui m'effrayait et qui m'effraie encore. Je n'ai jamais compris ceux qui travaillent sans cesse. Et puis, les voyages ne sont pas tout, à  bien y penser. Il y a l'amour, les amis, les arts. Enfin, j'aurais fait possiblement autre chose, diriez-vous. La vie des hommes n'est pas simple. Je ne voulais pas travailler pour ne pas perdre cette liberté qui parfois, je ne sais quoi trop en faire. Je voulais librement travailler sur mon corps et mon esprit à plein régime, n'ayant ni les convictions ni les motivations au travail, à part la carrière de guide que j'ai tenue à bout de bras pendant une trentaine d'années. Je viens et je vais, laissant choir mes pensées au gré du vent. Pour apprécier tous les paysages qui se sont offerts à moi, je devais prendre des pauses entre chaque voyage, entre chaque réveil. Partir est bien quand on sait qu'on va revenir. Revenir est bien quand on sait qu'on va partir. N'y a-t-il pas quelque chose qui m'échappe dans tout ce mouvement incessant ? N'ai-je pas suffisamment vu, passer ? Le temps viendra-t-il un jour où je serai plus serein et heureux, assis chez moi tranquille à lire et à écrire ? La vie est un long fleuve pas toujours tranquille. Si l'eau ne cesse de s'écouler, elle flétrit où elle se frayera un passage malgré les barrages existants. La vie existera toujours, même dans les eaux dormantes.

Bonjour monsieur l'agent, Je n'ai rien à déclarer. Ce ne sont pas les routes cabossées pleines de trous qui m'ont manqué, monsieur l'agent. Mais que voulez-vous, il faut bien revenir à la maison un jour. Bienvenue au pays des chauffards et des arbres allumettes. Farnham est une jolie petite ville à l'extrémité ouest des Cantons de l'Est. C'est de cet endroit que j'entreprends la dernière randonnée à vélo de ce road trip qui se termine demain. Il faut bien être un peu fou, par un soleil de plomb, sans ombrage et avec des rafales de vent frisant les cinquante kilomètres à l'heure, pour partir sur ma bicyclette pour une distance totale de 96 kilomètres. Il y a pire que la folie, il y a la mort, mais ça dépend. J'ai passé plusieurs fois de mourir et je ne parle pas des fois que je suis mort de chagrin. Hier en roulant à vélo le long de la rivière Ausable sous une pluie légère, par distraction j'ai glissé sur le sable et suis tombé sur la chaussée. Une voiture a freiné sec derrière moi, évitant ainsi de me rouler sur le corps. Le chauffeur s'est arrêté pour voir si tout allait bien. Si cet incident s'était déroulé au Québec, je ne serais peut-être pas là pour en parler. On meurt toujours de quelque chose, aussi bien mourir en s'amusant. Aujourd'hui, la moitié du parcours s'est fait en Montérégie et l'autre moitié dans les Cantons de l'Est. J'ai traversé de nombreux villages qui m'étaient inconnus jusqu'à présent et qui portent de jolis noms. Je traverse Granby et Bromont dans la circulation. Il y a beaucoup de circulation dans les Cantons de l'Est et à l'approche de Montréal. Ces régions manquent cruellement de pluie. Sur les guidons de mon vélo, j'aperçois un grand nombre des collines montérégiennes qui comprennent les monts Royal, St-Bruno, St-Hilaire, Rougemont, St-Grégoire, Yamaska, Shefford et Brome. Plusieurs sont là tout autour comme des fantômes dans la plaine. Je fais le tour de la réserve naturelle du mont Yamaska, lorgnant les belles pommes rouges de St Paul d'Abbotsford, là où jadis, on picolait avec le cidre St Antoine l'Abbé. Je longe les rivières Noire et Yamaska en traversant des hameaux dont je ne connaissais pas l'existence. Les régions de Montréal et de la Montérégie sont des terres asséchées. Les monocultures intensives et la déforestation font en sorte que le sol s'appauvrit. La nappe phréatique est à son plus bas niveau. Les rivières sont polluées et les animaux ont déguerpi depuis bien longtemps. L'homme a détruit son environnement pour y vivre, curieux paradoxe. Ce sont les erreurs du passé et celles du présent. Je range mon vélo en fin d'après-midi et je roule en campeur pour dénicher mon dernier spot pour la nuit du voyage. Je m'installe dans une érablière près de St-Félix-de-Kingsey à côté de la rivière St-François au Centre-du-Québec. La pluie dégouline sur mon plafond de tôle. Cela fait cinq ans que je bourlingue ma carcasse aux quatre coins de l'hémisphère nord. J'ai l'impression d'être arrivé au bout de quelque chose, d'avoir franchi une étape cruciale. J'ai un autre voyage d'exploration en Nouvelle-Angleterre le printemps prochain et après ça, le précipice, le néant. La pluie tombe. Je pense à la douche que je vais prendre en arrivant et à mettre sur pause quelque temps les tâches à l'agenda. J'ai parcouru à vélo, dans cette aventure d'une semaine intensive, 270 kilomètres au cœur des Adirondacks et une aujourd'hui au Québec. J'ai réalisé un autre projet de voyage qui me tenait à cœur et pour cela je dis merci. Cela me fera d'autres histoires à raconter, lorsque je serai vieux.

3 septembre | Perry Mills, Upper New York

La journée à vélo fut la plus belle de celles effectuées dans les Adirondacks depuis une semaine. 42 kilomètres au départ d'Au Sable Forks, le long d'East Branch Ausable River. Jay et Clintonville furent les villages atteints lors de cette randonnée facile et radieuse. Je me faufile à travers des orages isolés. Au retour, direction nord vers la frontière américaine. C'est ce qui mit fin au périple dans les Adirondacks pendant une semaine. Quatre parcours à vélo totalisant 165 kilomètres en montagne, moins que ce que j'avais prévu. Comme je l'ai dit précédemment, les Adirondacks ne sont pas l'endroit idéal pour le cyclotourisme malgré le fait que je m'étais procuré le guide ; 25 Bicycles Tours in Adirondacks. La ville la plus belle et celle qui offre le plus de caractère et d'histoires dans le parc des Adirondacks est, sans contredit, Saranac Lake dans la région des High Peaks. Je me suis installé pour la dernière nuit aux États-Unis sur la frontière américaine à Perry Mills près de Champlain. Hemmingford est à six kilomètres d'ici en Montérégie. Je suis à côté de Roxham Road qui, au Québec devient le chemin Roxham, porte d'entrée importante des immigrants, soit au Canada ou aux États-Unis. Plusieurs corps de patrouille circulent le long de la frontière. Je suis bien installé sur une terre agricole d'une ferme isolée. Demain matin au réveil, je serai au Québec pour tenter de faire une autre randonnée à vélo, si la température le permet. Par la même occasion, je terminerai le bilan de ce road trip rapide mais intense.

2 septembre | Clintonville Pine Barren Preserve, Au Sable Forks, Adirondack, Upper New York

Je me suis levé tard. Je prends la route rapidement pour ma prochaine randonnée à vélo sur le bord du lac Champlain à la hauteur de Westport. Je flaire un peu les cartes et les environs pour abandonner le projet. Je ne le ressens pas encore, une fois de plus. À la place, je pars faire une courte randonnée pédestre et n'y baigner à Noblewood Park sur Willsboro au lac Champlain. Une très longue pointe de sable fin s'avance très loin dans le lac. Je me baigne nu. Les eaux sont claires, chaudes et limpides. Je suis seul. Je me croirait dans une île des Caraïbes tellement c'est beau. C'est la plus belle plage sauvage du lac Champlain, j'en suis certain. Le parc est situé dans les Adirondacks près d'Essex à l'endroit où le traversier va en direction du Vermont. Ce petit village est ravissant et remplie d'histoire. Après m'être rafraîchi et ressourcé de tant de beautés, je reprends la route vers Au Sable Forks pour y passer la nuit. En prenant un chemin de terre incertain, une tige double de métal se fixe dans mon pneu avant. Il se dégonfle à peine, le temps de revenir au village et de le faire réparer in extremis. Dix minutes auront suffi et je me retrouve dans les environs d'Au Sable Forks pour me trouver un spot pour la nuit. Je m'installe à Clintonville Pine Barren Preserve sur une route isolée. Je marche le petit sentier dans une gigantesque pinède. Le sol est tout en sable. C'est vraiment étonnant de contempler cette forêt sur une barrière de sable avec tous ces pins odorants. Il y a eu plusieurs inondations sévères à Au Sable Forks. Le village est construir à l'intersection de deux rivières sablonneuse à, de là le nom. En 1903, Carnegie, un riche philanthrope américain, veut faire construire une grande bibliothèque à Montréal à condition que la ville assume les frais d'exploitation. Le maire de l'époque est d'accord, mais un vil conseiller municipal, Édouard Chaussée, bloque la ville dans le projet par des arguments réductifs et déplorables. Ce n'était ni la communauté anglophone ni les curés qui firent tomber le projet de la bibliothèque, mais un homme peu instruit et malveillant pour la cause culturelle des francophones. Écrire est un luxe, disait-il. Ça ne date pas de si longtemps que ça quand on y réfléchit. C'est ainsi qu'un grand nombre de citoyens se voyaient privés de livres pour apprendre et s'éduquer. En 1937, sur les six cent quarante-deux bibliothèques publiques au Canada, seulement vingt-six se trouvent au Québec, dont dix-sept sont anglophones. Étaient censurés les livres des rares bibliothèques à Montréal qui étaient sous la responsabilité du clergé. On les appelait les bons livres, ceux qui avaient la côte des curés, on peut imaginer pourquoi. Une importante fondation culturelle anglophone a dit dans un rapport que la bibliothèque de Montréal était une library without books. C'est au Québec qui se lit le moins de livres au Canada depuis les derniers recensements. Pour plusieurs, lire demeure un luxe. Il n'y a de quoi s'étonner que, par des mesures de contraintes budgétaires, les livres neufs n'arrivent pas aussi rapidement sur les tablettes des commissions scolaires et les bibliothèques publiques. Et l'on se demande, entre autres, comment se fait-il que les garçons décrochent aussi rapidement des institutions scolaires ? Serait-il possible que la force d'attraction des écoles francophones ne soit suffisamment attrayante pour éviter une pareille commotion ? Déjà une semaine demain que je suis parti, le temps passe vite sur la route. Chaque voyage est différent. Il n'y a pas de bonnes ou mauvaises expériences, seulement que des expériences. Chaque jour suffit sa peine. Je suis fier de réaliser ce projet que je portais dans mon cœur depuis très longtemps. C'est la plus belle température du voyage aujourd'hui. J'ai nagé dans des eaux chaudes et magnifiques. Ce soir, les portes du campeur sont grandes ouvertes au fond de la forêt, comme quoi, l'été n'a pas dit son dernier mot.


1er septembre | Severance, Paradox Lake, Adirondack, Upper New York

Le village d'Old Forge atteint le record de la plus baisse de température de l'état de New York. J'y prend mon lunch sur le parc, face au lac. C'est une bourgade touristique, rien de plus. Le plus long parcours en canoë en pleine nature des États-Unis débute à Old Forge. Il atteint une longueur de 1,120 kilomètres jusqu'à Fort Kent dans le Maine. La température devient grise et maussade en après-midi. Je roule un bon coup en campeur afin de repérer quelques parcours à vélo indiqué dans mon guide. Je ne trouve rien qui vaille, les circuits étant trop souvent sur des routes trop passables. Je poursuis jusqu'à Paradox Lake près de Shroon Lake. Je m'installe dans un boisé d'une route déserte à Severance. Ce n'est pas le paradis, mais je suis tranquille et en pleine forêt. Il est tard. Mon plan a considérablement changé avec tous les trajets à vélo qui ne m'enchante guère. J'en arrive à la conclusion, quoique ce n'est pas terminé, que les Adirondacks s'effectue en rando, en canoë ou en kayak. On repassera pour le cyclotourisme, les routes n'étant pas conçues pour ça. Le guide, 25 tours bike in Adirondack n'offre pas les meilleures expériences pour le cyclotourisme. J'aime mieux parcourir des régions semi-rurales, boisées et agricoles où peu ou pas de touristes interfèrent sur ma route. Demain est un autre jour, de toute façon, aujourd'hui n'était pas censé être une journée pour mouliner.

31 août| Stillwater, Beaver River, Adirondack, Upper New York

Cranberry Lake est le troisième plus grand lac des Adirondacks. Mon départ à vélo s'y est effectué pour un parcours sur un terrain plat sur une distance de 62 kilomètres. La première section du parcours fut très belle en suivant une chaîne de lacs. La seconde section est beaucoup moins jolie en suivant une route principale passante et rectiligne. Par chance que l'accotement est aussi large que la moitié de la chaussée. Rares sont les fois où j'utilise de tels tronçons à vélo. Un arrêt méritant l'attention fut le Ranger School à Wanakena sur Cranberry Lake. Cet illustre collège a été fondé en 1912. Le site est très beau de même que le village, plutôt cossu pour la région. À Newton Falls, une ancienne usine de pâtes et papiers a fermé ses portes en 2017. Elle opérait depuis des centaines d'années. À l'époque, plus de 8,000 habitants résidaient au village, maintenant une centaine. Toutes les maisons anciennes étaient pareilles, elles s'appelaient les Sears Houses. Les villageois les achetaient par catalogue et ils leur étaient livrés. Sur les 62 kilomètres parcourus, je n'ai croisé, cette fois, qu'une station-service et un petit general store. Au retour, je file en camping-car vers l'ouest du parc des Adirondacks vers le lac Ontario. Je parcours quelques kilomètres en dehors du parc en direction nord vers la vallée du Saint-Laurent. Cette région regorge de belles petites routes tranquilles pour le vélo. L'an passé, j'ai séjourné trois nuits que je ne suis pas prêt d'oublier dans cette région particulièrement belle et déroutante de charme. J'y retournerai un jour. La difficulté qui n'en est pas vraiment une réside dans le fait que je dois concevoir moi-même, à cet endroit, les parcours car aucun guide à vélo n'est disponible. Je file vers l'est en fin d'après-midi, retournant dans le parc des Adirondacks. La route est longue. Je peine à trouver de bons spots pour la nuit. Enfin, je m'installe pour la nuit sur un chemin de terre qui coupe Beaver River en deux. Je suis à Stillwater. Partout dans les Adirondacks, les voitures avec canoës et kayaks se promènent allègrement. Les sentiers pédestres abondent et les campings sauvages sont omniprésents. Les Adirondacks font le plaisir des amateurs de plein air et aussi des plus aventureux. Je continue ma lecture sur l'histoire du Québec. Avant la révolution tranquille, la pauvreté et la misère matérielle et culturelle faisaient partie de notre identité collective. La religion quittant le navire, l'état providence a pris la place. Les québécois alors se sont mis davantage à croire au gouvernement qu'à la religion. Au fait, faisaient-ils semblant de croire à Dieu ? Combien d'ainés ne veulent tout simplement pas se rappeler du temps des curés ? Ceux qui sont sortis de la religion indemnes ont toujours gardé espoir que les partis politiques les sauveraient. La modestie de nos origines signale la fragilité d'une conquête récente. Le discours politique est teinté de marketing des idées et de branding, de concert avec les élites médiatiques et le complexe récréo-festivalier. Aucuns partis politiques ne se remet en question. Ils sont toujours imputables car ils cachent toujours des considérations électorales. La reconnaissance des parts d'ombre présentes fragiliserait nos acquis et nous projetterait en arrière. Alors, les partis politiques mentent pour se tenir au pouvoir. Les réflexes associés au passé sont encore opérants, il va sans dire. Plusieurs québécois au XXᵉ siècle ont quitté leurs terroirs pour gagner leur vie aux États-Unis. C'était mieux pour eux. La littérature québécoise n'a pas la même profondeur que chez la mère patrie. Elle relate bien souvent une existence misérable empreinte de pauvreté. Les québécois ont rompu avec ces temps-là. La littérature du terroir a été délaissée par dédain ou crainte de s'en identifier. Nous sommes à des années-lumière de l'ambitieux et du conquérant. C'est depuis peu que chez certains québécois, l'ambition se reflète davantage, mais malheureusement sur le dos des plus démunis. Que reste-t-il de la charité ? À que cela ne tienne, vaut-il mieux vivre pauvre et heureux ? C'est cela qu'ont choisi de faire plusieurs d'entre eux : mener une vie ordinaire et vivre pour un petit pain. Je vois bien des gens qui, gagnant bien leur vie, sont au centuple du rayonnement qui pourrait s'offrir à eux. Dans la plupart des romans québécois, plusieurs acteurs ont la petite vie. Plusieurs renoncent au combat qu'ils n'ont pas su mener jusqu'au bout. C'est qu'avec les catholiques, il fallait révéler la richesse de la pauvreté et les ambitions d'une vie prospère et indépendante. Les écrivains québécois ont fait de la misère une esthétique approuvée, une vérité dans le dénuement. Dans chaque famille québécoise, un parent pauvre y habite. Au cinéma québécois, les héros sont toujours des tarés, des paumés ou des crétins. Rarement les acteurs ressemblent au super-héros. Il est l'heure de me mettre au lit, j'ai suffisamment râlé pour ce soir. Comme j'aime ce silence qui m'enveloppe et m'étreint au cœur des Adirondacks.


30 août | Millon Pond, Cranberry Lake, Adirondack, Upper New York

Ce n'est pas quelques brins de pluie, du vent et une température de treize degrés qui m'ont empêché de partir à vélo. Deux parcours en un, j'ai bien planifié ma journée qui fut impeccable. Chose inusitée, c'est la première fois à vélo que je ne vois aucune station-service, dépanneur ou quelque chose du genre avant soixante kilomètres. C'est à ce moment que j'aperçois Donnelly's Ice Cream en haut d'une montagne. Dans mon guide parcours datant de 1995, le ferme laitière agricole y apparaissait déjà. Il fallait faire une grande file pour obtenir la gâterie. En arrivant à la caisse, malheur, ils ne prennent que l'argent comptant. Le couple derrière moi m'a offert le cornet tant attendu. On discute un brin. Ils viennent de la banlieue de New York. Il vente très fort. On voit au loin les High Peaks. Le parcours est très beau avec de grandes sections sans aucune circulation. L'immersion en nature est totale. Le terrain est facile. Je termine avec soixante-dix kilomètres au compteur. Il est tôt, je garde la forme malgré un arrêt d'un mois. La mise au point de la bicyclette et du campeur ont été effectuées avant le départ. Le bonheur est total. Direction en véhicule à Saranac Lake et Tupper Lake, qui de ce dernier le tourisme se fait plutôt rare, sauf pour les amateurs de pêche. C'est le far west à comparer à Lake Placid et Saranac Lake. La pluie reprend de plus belle. J'atteins mon objectif : Cranberry Lake. Je m'installe pour la nuit à la sortie du village sur Millon Pond. Le repas de soupe aux légumes, fèves, et tofu accompagné de côtelettes de porc est délicieux.


29 août | Moose Pond, Saranac Lakes Wild Forest, High Peaks Region, Bloomingdale, Adirondack, Upper New York

Les couleurs saupoudrent les arbres lentement. La pluie n'a pas cessé depuis mon départ. Parfois, elle s'est montrée particulièrement déchaînée. Je passe l'avant-midi à lire et à faire des exercices. Je fais une tournée à Saranac Lake, une bourgade magnifique et paisible. Les lacs qui l'entourent sont multiples. Je mange dans un restaurant chinois. La région des High Peaks où je me retrouve, les paysages sont sublimes, les routes sont belles et les villages coquets et charmants. Tout est en parfaite harmonie dans les Adirondacks. Le mont Marcy culmine à plus de 1,629 mètres, c'est assez remarquable la hauteur lorsque le plus haut sommet de l'Est des États-Unis est le mont Washington à plus de 1,917 mètres. Jadis, je venais souvent grimper les hauts sommets des High Peaks accompagné de groupes de randonneurs. En plus d'organiser de coriaces randonnées, je devais préparer matin et soir les repas pour vingt-cinq personnes en camping sauvage. J'ai marché un grand nombre de sommets, il y a déjà longtemps dans le cadre de mon travail. J'avais le goût d'y revenir en campeur avec l'œil renouvelé. Comme il est plus facile de voyager en sa compagnie et de découvrir les affres de la liberté. Les Adirondacks étaient sur ma liste depuis quelques années. Tout me semble plus beau, même si je grimpe plus comme avant. Après la visite de Saranac Lake, je prends la direction de Lake Placid au cœur des High Peaks, plus touristique. Je reviens à Bloomingdale au même spot qu'hier soir sur Moose Pond par de petites routes secondaires derrière le mont Whiteface qui a déjà accueilli les Jeux olympiques d'hiver. Après le souper, je marche sur Moose Pond Road, je rencontre Ed et Debbie qui baladent deux gigantesques moutons à poils ras. On discute. Ed fut un guide naturaliste et Debbie s'occupe des activités pour les aînés. Leur maison est remplie de fleurs et de bosquets sauvages, ce qui est absolument magnifique à côté de Saranac River. Le mot qui me vient à l'esprit lorsque je voyage chez les anglais est cozy. Le ciel se dégage, laissant entrevoir des milliers d'étoiles sur le bord de Moose Pond. Que la vie est belle ici ce soir. La différence entre les américains et les québécois est leur relation historique avec la religion, catholique et protestante. La culture protestante octroyait davantage de responsabilités individuelles et civiles aux citoyens. Les engagements éthiques des protestants refoulaient la corruption sans aucun intermédiaire. J'aime comprendre ces différences fondamentales entre les deux cultures. Les québécois ont toujours eu des intermédiaires pour leur salut alors que pour les anglais, ça passe par eux-mêmes, d'où provient un plus grand sens des responsabilités. Chez les anglais, on s'appelle souvent par son prénom et on s'en souvient. Je me suis souvent demandé pourquoi est inscrit sur les plaques d'immatriculation au Québec ; je me souviens. Lire Henry Miller me fait grand bien. Je me sens moins seul en le lisant. L'histoire me fait découvrir un tas de choses que nous, québécois, aimerions ne pas voir ou entendre. Le petit peuple ne se soucie guère du passé et du futur dorénavant. Il est en mode survie depuis qu'ils savent que les liens collectifs qui les unissent disparaissent. C'est un sujet qui me fascine. Le ciel se dégage, laissant entrevoir des milliers d'étoiles sur le bord du lac. Que la vie est douce ici ce soir dans les Adirondacks.

28 août | Moose Pond, Saranac Lakes Wild Forest, Bloomingdale, Hight Peak Region, Adirondack, Upper New York

Partout où règne le froid, il y a des gens qui s'usent au travail jusqu'à la moelle, et s'ils prolifèrent, c'est à seule fin de prêcher à leur progéniture l'évangile du travail. Ce texte est d'Henry Miller, que je viens de découvrir. Avec le temps, je me suis aperçu que je ne vaux pas mieux qu'eux, que je suis pire en un sens, parce que, si j'ai vu clair, je n'ai pas cependant eu la force de changer profondément de vie. La seule véritable aventure est la marche vers soi-même. Je retrouve en lui un style d'écriture d'avant-garde pour son époque. Mes pensées se rapprochent de lui dès les premières pages de Tropique du Capricorne. Né en 1891 à Brooklyn, il dira très tôt que l'Amérique n'est constituée que de fous et d'idiots asservis par leur croyance à la nécessité inéluctable du travail, pour qui le présent n'est que le pont vers un lendemain inatteignable. Cette pensée m'a toujours accompagné dès mon plus jeune âge. J'ai ici un point éclairant sur ma nature profonde qui sommeille en moi. Que quelques lignes me suffisent pour faire germer des éclats de vérités en moi-même. Et si c'était cette masse qui était folle de ne pas savoir reconnaître la liberté ? Et si cette meute n'était pas capable de changer l'ordre des choses et que pourtant, cela nous concernait tous. Un ami à moi est anarchiste. Paul vit à Prague depuis trente ans. L'Amérique et ses dérives ultracapitalistes n'étaient pas faites pour lui. Le Québec l'est aussi, sinon plus. Le capitalisme ne vise pas la réforme de l'être mais sa destruction. Le capitalisme n'est habité par aucune conscience supérieure ni morale et ne se préoccupe que de l'intérêt pratique le plus immédiat. C'est intéressant d'essayer de comprendre les anarchistes sans verser dans leur intention de vouloir supprimer les institutions démocratiques. La question à se poser : qu'est devenue cette démocratie ? N'est-t-elle pas devenue le joujou récupéré par le capitaliste extrême pour se donner fière allure et corrompre ses fidèles ? Je suis parti de Québec ce matin en direction des Adirondacks dans le nord de l'État de New York. Je me suis arrêté pour déjeuner à Venise-en-Québec en Montérégie sur les rives de la baie Missisquoi. Cette baie n'est pas propre à la baignade et à la pêche. Des algues bleues toxiques prolifèrent dans cette baie que jouxte le lac Champlain. Le village devait être très joli avant que s'installent de grands campings le long de la baie et que les promoteurs y scandent leurs condos de merde. À l'époque, le centre culturel fut le Château Blanc, qui a brûlé dans un incendie dans les années 70. Le village perdait alors son âme. Rien de bien attrayant dans cette nature qui peine à respirer. Il en est de même dans plusieurs régions du Québec. C'est une autre histoire de l'autre côté de la frontière et dans l'état de New York où je me retrouve. À peine quelques kilomètres et le lac Champlain devient magnifique avec ses eaux pures. Tout est plus beau de l'autre côté de la frontière, c'est pour ça que j'aime y revenir. La belle province n'est plus aussi belle à mes yeux qu'autrefois. Je m'arrête à Plattsburgh y faire des courses. La ville est jolie et tranquille. Ensuite, je prends la route en direction du parc des Adirondacks, vaste territoire constitué de montagnes, parfois assez costaudes. C'est le plus grand parc aux États-Unis à l'est du Mississippi. Des villages paisibles sont intégrés à cet immense poumon de verdure. Les montagnes font partie des Appalaches. Je consulte mon guide de parcours à vélo de route. J'en ai noté une dizaine à parcourir. Je m'arrête pour la nuit au bout d'un chemin de terre à Saranac Lakes Wild Forest sur Moose Pond près de Bloomingdale. L'endroit est désertique et d'une grande beauté. Ici, les hommes n'ont pas perturbé les lieux. Le décor est sublime. Près de moi, des cimes d'une hauteur de 1,000 mètres. Je suis pas très loin de Lake Placid et Saranac Lake. Toute cette beauté tranche considérablement avec la grande ville de Québec que je viens de quitter. Pas de bruits, pas d'automobiles. Mon esprit et mon corps se calment enfin après toutes les turbulences des dernières semaines. Je ne trouve pas de lieux semblables au Québec pour me ressourcer. Lorsque je traverse la frontière, j'ai l'impression de partir très loin, tellement tout est calme et de bon goût. J'adore voyager dans ce beau et grand pays de la démesure. Ici, on bâtit les maisons autour des arbres et non l'inverse. Ce voyage ne me fera pas faire autant de kilomètres que les précédents. Mon intention est de rester dans les Adirondacks et possiblement dans la vallée de la rivière Hudson, sinon plus à l'ouest vers Watertown. On the road again, happy to be here. Dans mon road trip, la politique partisane n'a aucune emprise sur moi. Bonne affaire de laisser de côté toutes ces balivernes qui n'ont pas besoin de moi pour s'enfoncer de plus en plus dans la merde. Le problème, c'est qu'ils vont finir par nous rattraper, qu'on le veuille ou non. On est arrivé à un seuil de banalisation de l'être. La vitesse tue les hommes lentement. Le capitalisme réduit les possibilités d'être, de voir et de penser. Lorsque je quitte la grande ville pour me retrouver dans des endroits comme celui où je me trouve actuellement, j'ai l'impression de sortir d'une cage, d'une prison ou d'un asile d'aliénés. J'ai tant essayé de quitter le navire, je n'y suis pas arrivé. Mon seul espoir réside avec le campeur qui me permet de rompre avec la vie de cinglés que les hommes mènent inconsciemment. Mathieu Bélisle indique pour sa part que la vie ordinaire domine au Québec de manière exemplaire. La vie de participation et de contemplation n'ont vraiment dominé ni même exercé leur plein ascendant. Le Québec n'a jamais été un pays. Il a toujours été maintenu dans une relation de dépendance. C'est de qui tranche en venant aux États-Unis. Ça se voit, ça se ressent. La vie de participation et de contemplation ont, de tout temps, été soumises aux exigences de la vie ordinaire au Québec. Que mes détracteurs me disent le contraire, j'en ai rien à foutre, j'ai mes opinions. Le problème, c'est que j'y vis et ces pensées n'améliorent pas mon sort. Le rêve de la révolution tranquille s'est tu. Les espoirs d'un monde meilleur se sont envolés avec nos années de jeunesse et pour ceux quivoient ces années qui se ressemblent toutes. C'est pourquoi je viens chez nos voisins du sud, ce recul devenant nécessaire pour me renforcir et comprendre ce que je quitte, que ce soit une journée ou quelques semaines. La domination de la vie ordinaire constitue au Québec un trait culturel fondamental que le capitalisme mondialisé a contribué à mettre en évidence ou à aggraver. Je parais dur et cinglant envers ce faux pays, le Québec. Son pouvoir d'attraction réside en partie dans ses programmes sociaux. Que se passe-t-il alors si la participation fait défaut ? Poser la question, c'est y répondre. Le Québec, depuis la révolution tranquille, est devenu une vache à lait qui se fait exploiter à gauche et à droite, même par ses plus proches détracteurs, à ce point qu'il devient difficile aux petits cerveaux d'apporter une critique objective. Le Québec a toujours vécu dans la vie ordinaire, dans la grande pauvreté. Après la révolution tranquille, après que le petit peuple s'est réveillé tout à coup plus riche, plus libéré de la domination,  cela a déstabilisé la culture ambiante. Leurs ambitions en sont venues à se foutre de tout sauf d'eux-mêmes en s'enrichissant impunément aux détriments des autres. Je ne vois pas d'avenir pour le petit peuple. J'ai toujours eu espoir, mais lorsque je voyage dans la belle province et avec toutes ces années, je ne vois que décrépitude et morosité. Bien entendu, chez les américains, nous sommes loin du nirvana. Les camps sont divisés plus que jamais. Le douanier, fort probablement un fier trumpiste, m'a posé de bien étranges questions et son attitude m'a laissé croire qu'il est inconscient ou idiot. La grande différence entre le Québec et les États-Unis réside dans le fait que nos voisins sont plus riches et qu'ils ont un système d'éducation plus riche. Au fil du temps cela a joué sur leurs valeurs, leur indépendance. Mais tous n'ont pas accès à cette abondance. Le clivage est immense. Ce qui les guette actuellement est la fracture citoyenne qui risque de compliquer la paix sociale si les élus n'y prennent garde. Oui je sais, je râle peut importe ce que je fais et où j'irai, je suis ainsi fait. Il me reste qu'à changer de place le plus souvent que je peux pour ne pas pourrir de l'intérieur. La pluie tombe doucement ce soir à Moose Pond. Que la vie est magnifique sous cette arcade. Adirondack, my love ❤️