Présentiel

Bienvenue sur mon blogue personnel. Ce journal intimiste exprime un désir de dépassement et d'authenticité.

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Polarsteps



18 octobre |

J'ai tout le temps rêvé d'aventures au point que le nom de l'entreprise créée en 1994, et qui a perduré plus de trente ans, portait le nom de Vert l'Aventure. Très tôt, je croyais pouvoir devenir un bon marin. Je me suis engagé dans la Garde côtière canadienne comme serveur pour les officiers. Les navires étaient des brise-glaces qui naviguaient sur le fleuve, le golfe et l'estuaire du Saint-Laurent. Plusieurs fois dans l'année, des expéditions eurent lieu dans les Territoires du Nord-Ouest et l'Arctique. Ce fut l'enfer et l'une des plus mauvaises expériences de toute ma vie, du fait notamment que le mal de mer me poursuivait sans cesse. J'ai appris que j'avais davantage le pied terrestre que marin. À cette époque, les navires étaient vieux et l'équipage était uniquement composé d'hommes plutôt durs et coriaces. J'ai rapidement appris que vivre sur un navire était similaire à vivre dans un pénitencier. Tout en acier, avec des horizons froids et glaciales pour distraction, sans aucun espace vert et avec comme seul divertissement, le travail et l'accumulation de temps supplémentaire pour les primes. Mes illusions ont rapidement fondu comme neige au soleil et surtout avec les initiations macabres aux marins amateurs que je fus. Et les heures étaient très longues sur ces opaques bastions voguant sur les mers solitaires et colériques. J'ai traversé ainsi le cercle arctique avec une bande de cinglés à mes côtés, car même les pénitenciers n'en voulaient pas. Et vogue la galère, comme on dit, jusqu'à la prochaine terre où j'ai mis fin abruptement au contrat nauséabond de misère et d'austérité. C'est comme ça que j'ai appris que l'argent ne règle pas tout, je l'ai bien compris à  la dure, comme le reste. Aujourd'hui, la vie est différente à la Garde côtière, heureusement pour ceux qui naviguent leur mal à l'âme. J'aime la philosophie, car j'y apprend, en autre, que la tristesse et la philosophie sont incompatibles. Lorsque je romps avec mes rêves et mes désirs, je deviens triste et oppressé. La tristesse est signe de conflits intérieurs. Le désir n'est pas le résultat d'un savoir. Il est un élan, d'où la difficulté de comprendre la tristesse. Être triste revient donc à penser et, le cas échéant, à philosopher. La conscience nait au monde par la sensibilité capable de s'émouvoir comme de s'attrister. Je suis la totalité de ce que j'ai vécu. Il est réconfortant de savoir. Se savoir perdu ou se savoir sauvé, c'est dans tous les cas savoir, ce qui rompt avec l'angoisse de l'incertitude. Je lis quelques pages de la petite philosophie pour jours tristes de Bertrand Vergely pour mettre de la gaieté dans mon désespoir. Paradoxal, mais vrai. Ce n'est pas en évitant certains sujets qu'ils vont s'empêcher de se manifester. Il n'y a rien de plus angoissant que de ne pas savoir. Il peut être autant angoissant de ne pas savoir quoi faire. Être trop conscient peut apporter son lot d'angoisse, car l'existence même est remplie d'angoisse pour les pauvres hommes que nous sommes. Il y a en nous des vertiges issus de la conscience. Rien n'est pire que l'indifférence. En me heurtant à elle, j'ai l'impression de ne pas exister. Partout où je vais, l'indifférence est là. Une façon de l'éviter est de montrer ses dollars en poche, sa carte de crédit, son compte de banque avec, bien entendu, des fonds suffisants pour exercer sa crédibilité. Mais au-delà de ça, l'indifférence règnera toujours. Ma trop grande sensibilité à cet effet me rend triste. Elle me renvoie ma propre inutilité. L'indifférence est humiliante et surtout terrifiante. C'est une forme de mort dans la vie. L'inhumanité s'installe vite, quand on n'y prend pas garde, dit Bertrand Vergely. L'indifférence que certains portent envers autrui finira par se porter contre eux inévitablement. J'apprends de plus en plus à ne pas donner trop d'intérêt à ce qui n'en vaut pas la peine, sans pour autant être devenir indifférent, ce qui n'est pas toujours évident. Les choix sont parfois cruels et injustes. Je ne dois pas me montrer indifférent envers moi-même à vouloir jouer au sauveur. La société du spectacle périra lorsqu'elle ne fera plus rire personne et lorsque notre attention ne portera plus son regard vers ce qui est superficiel. Une seule chose freine la banalité, que l'on ne s'intéresse pas à elle. Mais comment freiner l'indifférence ? Ne pas s'intéresser à elle pourrait équivaloir à être indifférent par surcroît. Penser consiste à devenir insensible à tout ce qui ne me conduit pas vers une réelle découverte de soi-même, dit Vergely, ce à quoi j'adhère totalement.

17 octobre |

Cossé qu'ça donne icitte ? me dit spontanément une vieille dame. Trop savoir ne rend pas plus heureux que de rien savoir. Un médecin m'a déjà dit que l'anxiété et la dépression sont la même chose. La dépression c'est lorsqu'on regarde en arrière, l'anxiété en avant. L'un et l'autre s'enlacent. Ce n'est plus un sujet tabou, mais encore. Il fut un temps où les hommes vivant des émotions l'étaient aussi, mais encore. Dans le prochain chapitre, je ferai un retour en arrière sur mes voyages passés pour comprendre ma trajectoire et pour ne pas oublier ces moments qui ont fait ce que je suis devenu. Tout a commencé en marchant. J'ai marché pour le bien-être que cela me procurait et surtout pour oublier d'où je provenais. C'est comme ça qu'à l'adolescence, j'ai commencé à arpenter la ville du matin au soir, été comme hiver, beau temps mauvais temps. Je marchais sans cesse, en repassant plusieurs fois sur les mêmes artères dans la même journée. Plus tard, je découvrais le cyclotourisme. C'est ainsi que j'ai appris que mon besoin d'aventure était immense, jusqu'au jour où je fus repêché par des américains pour accompagner des groupes de cyclistes en Europe. Plus tard, j'ai créé ma propre entreprise de voyages d'aventures. C'était, grâce à mes nombreux voyages et à l'expérience acquise avec les américains, que ma motivation et ma détermination prirent de l'ampleur. Les premiers séjours à vélo se déroulèrent au Québec pour ensuite s'effectuer en Nouvelle-Angleterre. C'est à ce moment-là que je compris qu'il n'y aurait plus de limites dans ma capacité à devenir un organisateur aguerri et un guide à la fois passionné et téméraire. Les voyages de randonnées pédestres suivirent beaucoup plus tard, les besoins en ce sens étaient très grands. Débutèrent alors une série de longues et impératives randonnées sur les grandes montagnes au États-Unis.  J'étais au bon endroit et au bon moment. Internet n'avait pas encore vu le jour et les gens n'avaient aucune autre possibilité de se rencontrer ailleurs que dans ces clubs qui étaient plutôt rares à cette époque. Le succès fut à ce point immense que j'entrepris d'offrir plusieurs activités à caractère sportif et social par semaine. Après les séjours au Nord-Est des États-Unis que je connaissais comme ma poche, j'entrepris des périples plus loin, notamment dans le Sud-Ouest américain et qui connurent un franc succès. Quelle gloire fut pour moi d'aller au Grand Canyon avec un groupe que j'avais moi-même constitué. Je me sentais invincible. Rien ne m'arrêtait. Ma réputation était telle que j'étais inondé d'appels de gens qui voulaient se joindre à mon entreprise. Les participants faisaient partie d'une grande et joyeuse famille. Les réseaux et les amitiés se multipliaient et la demande était forte. Pendant plusieurs années, il y avait jusqu'à six activités par semaine. Ma forme et mon enthousiasme étaient resplendissants. Lors d'un séjour d'exploration à Cuba avec un ami de l'époque, j'ai décidé que l'entreprise que j'avais créée en 1994 prendrait son envol à l'international. C'est ainsi que débutèrent une série de grands voyages d'aventures qui me transporta sur tous les continents. C'est surtout l'Europe qui m'attirait le plus. Dans les années qui suivirent, je fis plusieurs allers-retours sur le vieux continent pour réaliser mes rêves avec une multitude d'intrépides aventuriers. La première fois que j'ai mis les pieds en Europe, ce fut en Hollande pour un voyage de deux semaines en cyclotourisme. J'y ai fait sept fois le tour à velo, la plupart du temps sous la pluie avec des groupes de joyeux cyclistes amateurs. Ma première journée en Europe fut Amsterdam où la Hollande venait de gagner la coupe du monde de soccer contre l'Allemagne. Vous imaginez le délire dans les rues. Plus tard, la France et la Suisse m'accueillirent avec ses grands festins de circuits cyclotouristiques d'envergure accompagnant de riches américains. Ces trois premières destinations, j'accompagnais des groupes pour des agences spécialisées en tourisme d'aventure. Plus tard, confiant en moi et au meilleur de ma forme, j'organisai une série de voyages de randonnées pédestres dans les pays suivants : Italie, Sicile, Corse, Croatie, Espagne, Grèce, Turquie et Maroc. Il y a eu aussi les nombreux séjours en Amérique centrale et du Sud, avec plusieurs destinations dans les Caraïbes : Équateur, Panama, Costa Rica, Nicaragua, Guatemala, Mexique, Cuba, Guadeloupe, Ste-Lucie, la Dominique et les Bahamas. Le Vietnam fut mon seul voyage en Asie où j'accompagnais un groupe de joyeux plaisantins. De tous ceux énumérés, mes préférés furent l'Italie et la Grèce. Sur les vingt voyages de groupes organisés en Europe, le mois d'octobre était mon mois de prédilection pour sentir les arômes et marcher sous la fraîcheur loin des hordes de touristes. À chacun des voyages, je devais me rendre à destination seul ou accompagné d'un volontaire, une année avant le voyage, afin de planifier un programme unique et personnalisé selon mes goûts. C'était ma création, mon art. J'avais cette capacité extraordinaire à offrir du rêve. La seule destination qui m'a échappé est le Royaume-Uni, qui demeure encore dans mes cartons, cette fois-ci à titre personnel car ma carrière a terminé à la pandémie en 2020. Depuis ce temps, je passe quelques mois d'été en petit campeur dont je me suis porté acquéreur depuis la retraite. Je n'ai cessé de bourlinguer alors les routes d'Amérique du Nord à la recherche de chemins de travers et de paysages sublimes. Cet automne marque un point important de cette vie d'intenses mouvements. Il me reste qu'un grand périple à vélo aux États-Unis à réaliser pour qu'enfin je termine cette longue liste vieille d'un demi-siècle. Peut-être irai-je en Angleterre plus tard ou bien retournerai-je en Italie ou en Grèce, je ne sais pas. Je ne sais plus ce qui adviendra de moi après tous ces grands projets qui prirent une place colossale dans ma vie, au point de m'en être identifié. Quel choc fut d'apprendre à la retraite que je venais de mourir de tout cela. Longtemps, j'ai cru que je n'étais fait que pour ça. Et c'était vrai. Il y a très longtemps que ma première fugue a débuté. Il serait grand temps que je rentre au bercail pour voir si j'y suis encore. Dur à suivre le monsieur, n'est-ce pas ? Tout change sans cesse bien malgré nous. C'est dans une vigilante attention que je perçois l'essentiel. Rompre avec certaines habitudes pour percevoir ce qui ce cache en dessous de chaque chose, chaque pensée, chaque geste. Tout se résume en un seul mot ; impermanence. Ce qui a été ne change plus. Ce qui a été n'existe dorénavant que dans ma mémoire. Cela est rassurant  parfois et aussi cruel de penser que je ne reviendra plus celui que j'ai été. Reste ma mémoire pour retracer mon histoire et l'intégrer dans l'instant présent qui passe.